En début de semaine, un juge fédéral a statué que Google a violé la loi « antitrust » américaine en monopolisant de manière abusive le marché de la recherche sur internet. L’entreprise abuse également de sa position dominante dans le domaine de la publicité en ligne. Cette décision pourrait avoir des implications majeures non seulement pour les activités de l’entreprise, mais également sur l’ensemble de l’écosystème numérique mondial.
Appliquée dans plusieurs régions dans le monde, dont l’Union européenne (UE) et les États-Unis, la loi antitrust vise à limiter la concentration économique à une seule entreprise ou institution. Elle consiste entre autres à interdire aux entreprises d’abuser de leur position dominante sur le marché en pratiquant par exemple des prix exagérément bas pour empêcher d’autres concurrents d’intégrer ce dernier. Votée en 1890, celle des États-Unis, la « loi Sherman », a pour objectif de limiter la croissance des grandes entreprises dont l’influence est telle qu’elles pourraient potentiellement menacer la démocratie ou la société dans son ensemble.
Au cours des deux dernières décennies, de grandes entreprises telles que Microsoft ont fait l’objet de poursuites de la part du gouvernement américain en raison d’infractions à la loi Sherman. Plus récemment, Google a lui aussi fait l’objet d’une poursuite de la part du ministère de la Justice américaine, l’accusant notamment de monopoliser illégalement le marché de la recherche et de la publicité en ligne. Le procès a eu lieu en fin d’année dernière à Washington et a duré 10 semaines. Il s’est terminé avec deux jours de plaidoiries en mai de cette année.
Annoncée lundi, la décision du juge fédéral, Amit Mehta, est sans équivoque : « Après avoir soigneusement examiné et pesé les témoignages et les preuves, le tribunal arrive à la conclusion suivante : Google est un monopole et a agi comme tel pour maintenir son monopole. Il a violé l’article 2 de la loi Sherman ».
Toutefois, cette décision concerne uniquement la culpabilité de l’entreprise et n’inclut pas encore les sanctions ou les mesures correctives. Ces dernières seront établies lors d’une prochaine étape juridique. Dans le pire des cas, Google pourrait être amené à revendre une partie de ses activités, ce qui pourrait être dramatique pour l’entreprise, car elle tire près de 80 % de ses revenus de la publicité en ligne.
Un monopole écrasant depuis plus de 15 ans
Le moteur de recherche Google accapare aujourd’hui plus de 90 % du marché, un monopole écrasant qui dure depuis plus de 15 ans. L’entreprise avait en effet déjà surpassé Yahoo en 2004 et possédait 80 % du marché en 2009. En comparaison, Bing ne détient actuellement que 6 % du marché. Cela est principalement dû au fait que Google reverse jusqu’à 26 milliards de dollars par an aux fabricants de téléphones comme Apple et Samsung pour rester le moteur de recherche par défaut sur leurs appareils.
Google occupe également près de 40 % du marché mondial de la publicité en ligne, contre environ 20 % pour Meta. Il reverse à Apple 36 % des recettes publicitaires générées par Safari. Cette domination s’appuie à la fois sur son moteur de recherche et sur d’autres services et produits à succès, tels que le système d’exploitation Android ou la plateforme vidéo YouTube. Sa place dans le marché de la publicité s’est davantage affirmée avec le rachat de DoubleClick (une régie publicitaire spécialisée dans le ciblage comportemental sur Internet) pour 3,1 milliards de dollars en 2007 — une acquisition qui a suscité l’inquiétude des autorités de l’UE, mais qui a finalement été approuvée.
Une victoire historique ?
Ces accords de distribution offrent un avantage considérable, laissant très peu de place à la concurrence. Alors que ce monopole semble avoir été sous-estimé par les précédents gouvernements (américains), la décision de Mehta est perçue comme un retour à la raison. « Cette victoire contre Google est une victoire historique pour le peuple américain », a déclaré dans un communiqué du Département américain de la justice le procureur général Merrick B. Garland. « Aucune entreprise, quelle que soit sa taille ou son influence, n’est au-dessus de la loi. Le ministère de la Justice continuera à faire appliquer vigoureusement nos lois antitrust », a-t-il ajouté.
Google prévoit de faire appel à la décision (ce qui consiste à contester une décision de justice rendue par une juridiction de premier degré si elle ne satisfait pas l’une des parties) de Metha en déclarant que celle-ci « reconnaît que Google offre le meilleur moteur de recherche, mais conclut que nous ne devrions pas être autorisés à le rendre facilement accessible », a indiqué à Techcrunch Kent Walker, président des affaires internationales de l’entreprise.
En outre, ses contrats avec les fabricants de téléphones comme Apple pour figurer en tant que moteur de recherche par défaut ne sont pas exclusifs. Selon le porte-parole de Google, cela ne devrait donc pas constituer une infraction à loi Sherman — un argument qui a été rejeté par le juge lors du procès.
Il est également important de noter que Mehta lui-même a précisé que pour les grandes entreprises, il n’y avait pas d’alternative réaliste à Google en matière de moteur de recherche. Les partenaires de l’entreprise en téléphonie mobile ont d’ailleurs déclaré qu’il était financièrement inenvisageable de changer de moteur de recherche par défaut, car cela les ferait perdre les milliards de dollars que Google leur verse chaque année en matière de revenus partagés. « Aucune somme offerte par Microsoft ne pourrait convaincre Apple de choisir Bing par défaut », a témoigné lors du procès Eddy Sue, le PDG d’Apple. En effectuant une analyse concurrentielle, la juridiction a en outre déclaré qu’Apple devrait investir 20 milliards de dollars pour créer un nouveau moteur de recherche qui pourrait concurrencer Google.
Néanmoins, l’entreprise mère de Google (Alphabet) figurera tout de même au centre d’un second procès antitrust qui aura lieu ce 9 septembre en Virginie. Cela concernera uniquement la publicité en ligne. D’autres procédures similaires sont également en cours pour d’autres géants de la tech, notamment Amazon, Apple et Meta.