Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans certaines conditions, un photon — une particule élémentaire sans masse — peut se transformer en une autre particule et son antiparticule, qui elles, ont une masse. Inspirés par ce processus, des physiciens théoriciens ont testé l’idée selon laquelle un graviton, le quantum hypothétique de la force gravitationnelle, pourrait lui aussi se transformer en d’autres particules, en particulier en photons.
Le modèle standard de la physique des particules, qui décrit l’ensemble des particules subatomiques (élémentaires et composées), permet d’expliquer comment celles-ci interagissent avec la matière — ces interactions dépendant de leur nature et de leur énergie. Il arrive que les particules se transforment les unes en les autres via divers processus ; mais ce n’est pas le cas du photon, le quantum d’énergie associé aux ondes électromagnétiques, car il n’a pas de masse — et ne peut donc pas, en théorie, se transformer en une particule ayant une masse.
Dans certaines conditions particulières cependant, cela devient possible : si un photon de haute énergie passe à proximité d’un noyau atomique, son énergie peut être convertie en une paire électron-positron — soit deux particules ayant une masse — dans un processus appelé « création de paires », qui est le mode dominant d’interaction des photons avec la matière. Sur la base de cet étrange phénomène, des physiciens de l’Université McGill de Montréal et de l’Université Jagellon de Cracovie, ont élaboré une théorie selon laquelle la gravité pourrait elle aussi se transformer en d’autres particules.
Des ondes gravitationnelles beaucoup plus fortes dans l’Univers primitif
La théorie de la relativité générale décrit la gravité comme la manifestation de la courbure de l’espace-temps, elle-même produite par la distribution de l’énergie de la matière qui s’y trouve. Mais du point de vue de la physique quantique, ces oscillations de l’espace-temps, les ondes gravitationnelles, peuvent être interprétées comme la propagation d’une particule élémentaire hypothétique qui transmettrait la gravité, appelée graviton, considérée comme le quantum de la force gravitationnelle. En théorie, les gravitons se comportent comme n’importe quelle autre particule fondamentale et sont donc potentiellement capables de se transformer en d’autres particules.
Une équipe de chercheurs a entrepris de tester cette hypothèse, en n’utilisant « aucune physique au-delà du modèle standard de la physique des particules et de la gravité d’Einstein », précisent-ils. Pour ce faire, ils se sont concentrés sur les conditions de l’Univers primitif, à l’époque où aucune structure n’existait (ni étoiles ni galaxies) et où toute la matière et l’énergie étaient regroupées en un volume extrêmement dense et chaud. Dans ces conditions particulières, qui remontent à plus de 13 milliards d’années, les ondes gravitationnelles auraient joué un rôle majeur dans l’évolution de notre univers.
Les ondes gravitationnelles — prédites par Einstein en 1916 et détectées pour la première fois en 2015 — sont généralement très faibles, avec des fréquences allant de quelques kHz à quelques nHz. Elles sont « capables de faire franchir à un atome une distance inférieure à la largeur de son propre noyau », précise Live Science. Un événement cosmique tel qu’une collision de deux trous noirs se traduit quant à elle par un déplacement infime, de l’ordre de 10-18 mètres, dans les détecteurs interférométriques. Les physiciens soutiennent ici que dans l’Univers primitif, ces ondes auraient pu être beaucoup plus puissantes.
Ces ondes gravitationnelles primordiales, émises dans toutes les directions, se seraient amplifiées d’elles-mêmes, entraînant dans leur oscillation toute la matière se trouvant sur leur passage. Cet effet de résonance aurait favorisé les interactions entre les différentes particules élémentaires et la formation des premières particules composites, suivies des premiers noyaux atomiques.
Des conditions propices à une résonance plus importante
Mais ces ondes auraient également pu avoir un impact sur le champ électromagnétique environnant, en portant ce rayonnement à des énergies extrêmement élevées, jusqu’à provoquer l’apparition spontanée de photons. « Les ondes gravitationnelles induisent des termes oscillants dans les équations du mouvement pour tous les champs de matière. Dans le cas de champs de matière sans masse comme le photon, on s’attend donc à ce que ces ondes gravitationnelles puissent induire des instabilités. Ces instabilités, à leur tour, draineront l’énergie des ondes gravitationnelles », expliquent les chercheurs.
L’équipe rapporte avoir bel et bien constaté un effet de résonance d’après leurs calculs, mais dans le vide, celui-ci est très faible : la résonance ne se produit que dans la deuxième bande de résonance et est donc très inefficace. En outre, de par l’expansion de l’Univers, les ondes gravitationnelles sont de courte durée. En revanche, dans un milieu où les ondes électromagnétiques se déplaceraient beaucoup plus lentement, la résonance pourrait être beaucoup plus forte, expliquent les chercheurs.
En d’autres termes, si l’Univers primitif contenait suffisamment de matière et était suffisamment dense pour que la vitesse de la lumière soit réduite, les ondes gravitationnelles pourraient persister suffisamment longtemps pour générer plus de photons. La gravité aurait donc pu créer de la lumière, influençant de manière significative toute la formation de la matière et l’évolution de l’Univers. « Notre résultat est un premier pas vers l’étude des implications possibles de la conversion des ondes gravitationnelles via la résonance paramétrique en cosmologie et en astrophysique », concluent les auteurs de l’étude.