À l’échelle mondiale, le vieillissement de la population devrait atteindre des niveaux sans précédent d’ici 2050. Le déclin cognitif associé au vieillissement représente un défi majeur pour la santé et le bien-être des individus. Il est donc essentiel de développer des stratégies pour maintenir une fonction cérébrale saine. Dans cette optique, des scientifiques d’un centre de recherche sur le microbiome, à l’University College Cork, présentent une nouvelle approche visant à ralentir les effets du vieillissement sur le cerveau, qui repose sur les bactéries intestinales.
Le rôle des bactéries intestinales sur la santé a été mis en évidence relativement tôt, par Elie Metchnikoff (1845-1916), un bactériologiste et immunologiste russe, qui s’est intéressé au sujet alors qu’il commençait lui-même à vieillir. Il est avéré aujourd’hui que la composition du microbiote intestinal change avec l’âge et que sa diversité est fortement associée à l’état de santé des individus — les altérations du microbiote sont liées à plusieurs affections chroniques, notamment l’obésité et les maladies inflammatoires.
Une étude menée en 2017 a montré que le vieillissement induisait non seulement des changements dans le microbiote et le système immunitaire, mais qu’il était associé au déclin cognitif et à l’anxiété ; aucun lien de cause à effet n’a cependant pu être clairement établi. Les bactéries bénéfiques de l’intestin sont-elles capables de ralentir les effets du vieillissement ? Pour le savoir, la même équipe de chercheurs de l’APC Microbiome Institute, encadrée par John Crayne, vice-président pour la recherche et l’innovation à l’University College Cork (UCC), a réalisé une nouvelle expérience : ils ont transplanté le microbiome de jeunes souris dans des souris âgées. Cette intervention a permis d’inverser plusieurs déficits comportementaux liés à l’âge.
Des bactéries qui soutiennent les fonctions cognitives et immunitaires
Les chercheurs ont prélevé le microbiote fécal de jeunes souris (âgées de 3 à 4 mois) pour le transplanter dans des souris âgées de 19 à 20 mois. Ces dernières ont ensuite été soumises à une expérience dans laquelle elles devaient rechercher une plateforme cachée dans un labyrinthe ; il se trouve que les souris âgées qui ont bénéficié de la greffe ont été beaucoup plus rapides à atteindre leur but que les autres souris âgées. « Cette nouvelle recherche change potentiellement la donne, car nous avons établi que le microbiome peut être exploité pour inverser la détérioration du cerveau liée à l’âge. Nous voyons également des preuves d’une amélioration de la capacité d’apprentissage et de la fonction cognitive », souligne John Cryan.
Outre le déclin des fonctions cognitives, le vieillissement est également associé à une augmentation de l’inflammation dans tous les systèmes de l’organisme, y compris le cerveau. En 2015, une étude rapportait en effet que le vieillissement et le stress chronique avaient un impact similaire sur le cerveau, au niveau comportemental et moléculaire. Les processus immunitaires jouent donc un rôle clé dans le vieillissement cérébral, en particulier les cellules de la microglie — des macrophages du système nerveux central, qui constituent le premier niveau de défense contre les pathogènes.
D’autres recherches menées par Cryan ont confirmé que la maturation et l’activation de la microglie sont constamment régulées par le microbiote intestinal — preuve supplémentaire du lien étroit entre le microbiote et la santé du cerveau. Et les récents travaux réalisés à l’APC Microbiome Institute ont prouvé que les effets délétères du vieillissement sur le système immunitaire sont également réversibles par transplantation d’un « jeune » microbiote. Chez les souris âgées transplantées, une grande partie de l’inflammation a en effet été atténuée.
Protéger son cerveau en soignant son microbiote
En examinant les souris transplantées d’un peu plus près, les chercheurs ont par ailleurs remarqué que les métabolites et le transcriptome de leur hippocampe — une région cérébrale impliquée dans la mémoire, la navigation spatiale et l’inhibition du comportement — ressemblaient davantage à ceux observés dans l’hippocampe des jeunes souris. Si le lien entre microbiote intestinal et vieillissement cérébral est désormais clairement établi, les mécanismes sous-jacents restent quant à eux à expliciter.
En outre, les auteurs de l’étude soulignent que cette étude ne concerne que les souris — des animaux qui ont une génétique, un régime alimentaire et un microbiome très différents de ceux des êtres humains. Bien que ces résultats soient très encourageants, Cryan prévient qu’« il est encore tôt et beaucoup plus de travail est nécessaire pour voir comment ces découvertes pourraient être traduites chez l’homme ».
Pour le professeur Paul Ross, directeur de l’APC Microbiome Institute, cette recherche a le mérite de mettre en exergue l’importance du microbiome intestinal dans de nombreux aspects de la santé, et en particulier dans l’axe cerveau/intestin, via lequel le fonctionnement du cerveau peut être influencé positivement. Cette étude ouvre ainsi des possibilités « de moduler le microbiote intestinal en tant que cible thérapeutique pour influencer la santé du cerveau », ajoute-t-il.
La greffe fécale chez l’Homme en tant que « cure de jouvence » n’est donc pas pour demain… Mais John Cryan estime que l’accent doit être mis sur des traitements diététiques ou à base de pré-/probiotiques favorisant la santé intestinale et un système immunitaire fort, afin de garder le cerveau jeune et en bonne santé le plus longtemps possible.