Grippe aviaire H5N1 : une seule mutation suffirait désormais à la rapprocher d’un risque pandémique

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Des études révèlent qu’une seule mutation du virus H5N1 qui a récemment infecté des vaches laitières suffit à augmenter son potentiel de transmission interhumaine et son risque de devenir pandémique. De plus, en échangeant des gènes avec d’autres virus de la grippe humaine, il pourrait acquérir un potentiel pandémique presque instantanément. Ces observations mettent en évidence l’importance de surveiller l’évolution du virus.

L’épidémie de grippe aviaire touchant actuellement les élevages de vaches laitières aux États-Unis suscite des inquiétudes croissantes. Alors qu’il n’infectait initialement que les volailles et les oiseaux de mer, il a commencé à se propager chez les bovins et les animaux domestiques depuis mars de cette année. Au cours de la semaine dernière, le virus a été signalé dans 675 troupeaux de vaches répartis dans 15 États américains. Il a également provoqué des infections mortelles chez de nombreux autres mammifères entrés en contact avec des oiseaux infectés.

Actuellement, il n’existe encore aucun cas recensé de transmission interhumaine. Les cas humains détectés au cours des derniers mois sont liés à des contacts avec les environnements ou les animaux infectés. Cependant, les autorités sanitaires s’inquiètent de la capacité du virus à se propager plus efficacement chez les humains. En octobre dernier, le virus a d’ailleurs été détecté pour la première fois chez les porcs, qui sont d’excellents incubateurs de virus indiquant qu’il mute rapidement et élargit sa gamme d’hôtes potentiels.

L’étude, de l’Institut de recherche Scripps — publiée dans la revue Science —, confirme le potentiel d’évolution rapide du virus, en révélant qu’une seule mutation de la souche ayant récemment infecté les vaches laitières suffirait à augmenter sa capacité de transmission interhumaine. En infectant les humains, le virus obtiendrait davantage de mutations, augmentant ainsi sa capacité à provoquer une pandémie.

Un potentiel de transmission amélioré avec une seule mutation

Les virus de la grippe se fixent à leurs hôtes par le biais d’une protéine appelée hémagglutinine qui se lie aux glycanes, des récepteurs de surface cellulaires composés de molécules de sucre et de protéines. Les souches de H5N1 infectent principalement les hôtes disposant de récepteurs glycanes contenant un acide sialique de type aviaire. Pour infecter d’autres hôtes, ils mutent pour reconnaître leurs récepteurs glycanes sialylés spécifiques. Pour se propager chez les humains, ils reconnaissent donc les glycanes sialylés de type humain.

virus recepteur
Site de liaison du récepteur du mutant d’hémagglutinine Leu226 A/Texas/37/2024 (jaune) de la souche virale bovine du Texas en complexe avec l’analogue du récepteur humain LSTc (cyan). © Scripps Research

« Il est essentiel de surveiller les changements dans la spécificité des récepteurs (la façon dont un virus reconnaît les cellules hôtes), car la liaison au récepteur est une étape clé vers la transmissibilité », explique dans un communiqué Ian Wilson, coauteur principal de l’étude et professeur de biologie structurelle à l’Institut Scripps.

Afin d’identifier ces changements, l’équipe a introduit plusieurs mutations dans l’hémagglutinine de la souche H5N1 2.3.4.4b, qui s’est transmise aux humains par le biais du contact avec des bovins infectés. Les mutations ont été sélectionnées pour refléter celles qui pourraient survenir naturellement. Ils ont constaté que la mutation Q226L améliorait considérablement la capacité du virus à se fixer aux glycanes sialylés de type humain.

« Ces résultats démontrent la facilité avec laquelle ce virus pourrait évoluer pour reconnaître des récepteurs de type humain », explique Ting-Hui Lin, l’auteur principal de la recherche. « Cependant, notre étude ne suggère pas qu’une telle évolution ait eu lieu ou que le virus H5N1 actuel, qui ne présente que cette mutation, serait transmissible entre humains », précise-t-il.

La seconde étape de l’étude consistait à évaluer comment ce type de mutation pourrait survenir naturellement ainsi que leur impact. Pour ce faire, les chercheurs ont effectué des tests de liaison avancés imitant le processus par le biais duquel le virus se fixe à une cellule. Cela a permis de suivre en détail la manière dont l’hémagglutinine H5N1 mutée interagit avec les récepteurs de type humain. Ils ont constaté que la mutation Q226L confère au virus un moyen d’implantation dont il ne disposait pas auparavant.

grippe aviaire recepteur
Caractérisation du récepteur de la souche bovine H5HA du Texas à partir de A/Texas/37/2024 (H5N1). © Ting-Hui Lin et al.

Ces observations concordent avec celles de l’étude du Centre médical universitaire Érasme, aux Pays-Bas, indiquant notamment que le variant H5N1 de 2022 (H5N1 2.3.4.4b) se lie plus efficacement aux cellules humaines et se réplique mieux à l’intérieur de celles-ci que le variant de 2005 (H5N1 2.3.2.1). Les résultats sont détaillés sur la plateforme de prépublication bioRxiv.

Des échanges de gènes avec d’autres virus grippaux

Les chercheurs précisent toutefois que cette mutation à elle seule ne suffirait pas à provoquer une pandémie. D’autres changements, tels que les mutations de la polymérase basique 2 (E627K) améliorant la réplication des virus et leur stabilité dans les cellules humaines, sont probablement nécessaires pour une propagation interhumaine efficace. Cependant, une fois qu’une souche virale infectant les humains acquiert la mutation de « commutation » du récepteur, elle aurait plus de chance de développer les autres.

D’autre part, le virus pourrait acquérir toutes ces mutations simultanément en échangeant des gènes avec un virus grippal humain en infectant un seul individu, développant ainsi instantanément un potentiel pandémique. Plusieurs pandémies de grippe ont été provoquées par un processus similaire. « C’est très inquiétant », a déclaré Aris Katzourakis, de l’Université d’Oxford, au New Scientist. « Chaque transmission à un humain donne au virus un coup de dés », explique-t-il.

Ces résultats soulignent le besoin de vigilance quant à l’évolution du virus ainsi que celle des autres virus grippaux infectant les humains. Bien que la probabilité d’une nouvelle pandémie soit pour le moment faible, « le suivi continu des changements génétiques au fur et à mesure qu’ils se produisent nous permettra de mieux nous préparer aux signes d’une transmissibilité accrue », explique Wilson. « Ce type de recherche nous aide à identifier les mutations à surveiller et à définir les réponses appropriées », conclut-il.

Sources : Science, bioRxiv

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