Les habitants de l’île de Pâques auraient prospéré et interagi avec les Autochtones, avant l’arrivée des Européens

Une analyse ADN réfute l’hypothèse selon laquelle la population s’est effondrée bien avant l’arrivée des Européens.

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Une analyse ADN basée sur des restes d’anciens habitants de l’île de Pâques indique que la population a prospéré jusqu’en 1860, lorsque la traite des esclaves et les épidémies ont déplacé et tué des centaines d’insulaires. Cette découverte contredit l’hypothèse de longue date selon laquelle la population se serait effondrée bien avant l’arrivée des Européens, en 1722, en raison d’une mauvaise gestion des ressources. Les habitants de l’île auraient aussi eu des contacts avec les Autochtones vers les années 1 300, suggérant ainsi qu’ils ont peut-être découvert l’Amérique avant Christophe Colomb.

Située dans l’océan Pacifique à 3 700 kilomètres de la côte ouest de l’Amérique du Sud, l’île de Pâques (également connue sous le nom de « Rapa Nui » ou « Te Pito o Te Henua ») est l’un des endroits habités les plus isolés au monde. Malgré cet isolement, les Polynésiens ont commencé à s’y installer dès les années 1 250. Toutefois, cet éloignement a également fait que les Européens n’ont atteint l’île qu’en 1 722.

Si quelques milliers d’Autochtones résident actuellement sur l’île, on pense que la population y était bien plus nombreuse avant l’arrivée des Européens. Bien que l’île et ses habitants aient été largement étudiés, l’histoire antérieure au contact avec les Européens fait encore aujourd’hui l’objet de débats. La théorie conventionnelle avance un « suicide écologique » (ou « écocide ») qui aurait mené à l’effondrement de la population avant ce contact. L’histoire de la population Rapanui est d’ailleurs largement présentée comme un avertissement contre la surexploitation des ressources.

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Selon cette théorie, les Rapanuis auraient surexploité la forêt de l’île et décimé la faune locale afin de subvenir à leurs besoins croissants. La pénurie de ressources aurait ensuite conduit à une crise sociétale baptisée « Huri Moai » et caractérisée par une famine et une guerre qui aurait dégénéré jusqu’au cannibalisme. Cela aurait finalement conduit à un effondrement démographique qui a fait passer la population de 15 000 individus à 1 500-3 000, d’après les rapports des visiteurs européens arrivés en 1 722.

Cependant, bien qu’il soit bien établi que l’environnement de l’île ait été impacté par la pression anthropique, de récentes études bioanthropologiques, archéologiques et historiques remettent en question la théorie de l’écocide. Le séquençage d’ADN effectué par l’équipe de l’Université de Copenhague et de l’Université de Lausanne sur des restes autochtones étaye ces preuves. Leurs résultats suggèrent notamment que les Rapanuis étaient bien plus résilients qu’on le pensait et ont continué à prospérer jusqu’à l’arrivée des Européens.

« Notre analyse génétique montre une croissance démographique stable du 13e siècle jusqu’au contact avec les Européens au 18e siècle. Cette stabilité est essentielle, car elle contredit directement l’idée d’un effondrement démographique dramatique avant le contact », explique dans un communiqué de l’Université de Copenhague Víctor Moreno-Mayar, auteur principal de l’étude.

Un récit colonial erroné perpétué jusqu’à aujourd’hui,

Les échantillons analysés dans l’étude proviennent des restes de 15 Autochtones ayant vécu entre 1 670 et 1 950 et conservés au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Le séquençage ADN a été réalisé dans le but de déterminer qu’il s’agissait bien de Rapanuis, la communauté ayant sollicité leur rapatriement sur l’île. Si la population s’était réellement effondrée selon la théorie de l’écocide, leur patrimoine génétique devrait être moins diversifié, en raison de la restriction démographique.

Cependant, après avoir établi que les 15 individus étaient bien des Rapanuis, les experts n’ont trouvé aucune trace d’effondrement dans leur ADN. Au contraire, les résultats indiquent que la population a régulièrement augmenté jusqu’en 1 860, lorsque les marchands d’esclaves ont kidnappé près d’un tiers des habitants. L’arrivée des Européens a également provoqué une épidémie de variole qui a décimé la population locale, la faisant brutalement chuter à 110 individus.

Ces résultats suggèrent que les Rapanuis se sont adaptés aux défis environnementaux qui se sont produits sur l’île entre 13e et 18e siècle, contredisant ainsi la théorie de l’écocide. « Le paysage de Rapa Nui a changé entre le peuplement de l’île, vers 1 200, et le contact avec les Européens 500 ans plus tard. Cependant, la stabilité de la population tout au long de cette période montre qu’il s’agissait d’une population résiliente, capable de s’adapter aux défis environnementaux », affirme Bárbara Sousa da Mota de l’Université de Lausanne, coauteure principale de l’étude — publiée dans la revue Nature.

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Estimations des taux d’homozygotie (ROH) et de la taille des populations Rapanui au fil du temps. © Víctor Moreno-Mayar et al.

Toutefois, malgré les preuves croissantes tendant à la réfuter, la théorie de l’écocide reste largement acceptée, probablement en raison d’un récit colonial erroné perpétué jusqu’à aujourd’hui, selon les experts. Selon Phillip Wilcox, du Centre de bioéthique de l’Université d’Otago (qui n’a pas participé à l’étude), cela soulève des questions quant à la rigueur académique et les motivations de ceux qui ont perpétué cette théorie malgré l’absence de preuves convaincantes. « La perpétuation de mensonges par des institutions universitaires occidentalisées et d’autres acteurs puissants a longtemps tourmenté les peuples autochtones du monde entier », affirme-t-il.

10 % du patrimoine génétique d’origine amérindienne

Mis à part la diversité génétique réfutant la théorie de l’écocide, les chercheurs ont également découvert que les Rapanuis interagissaient avec les Autochtones, malgré la distance qui les séparait. Environ 10 % de leur patrimoine génétique avait notamment une origine amérindienne, une proportion comparable à celle de la population actuelle. Cette interaction aurait eu lieu entre 1 250 et 1 430, soit bien avant l’arrivée des Européens. « Bien que notre étude ne puisse pas nous dire où les Rapanui sont entrés en contact avec les Amérindiens, cela pourrait signifier que les ancêtres Rapanui ont atteint les Amériques avant Christophe Colomb », indique Sapfo Malaspinas de l’Université de Lausanne, également coauteur de l’étude.

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La dérive et l’identité par descendance sont partagées entre les populations anciennes de Rapanui et les populations actuelles. © Víctor Moreno-Mayar et al.

Ces résultats pourraient mettre fin à un autre débat de longue date concernant l’existence d’une interaction pré-européenne entre les Polynésiens et les Amérindiens. Il a en effet été suggéré que l’épuisement des ressources en bois de construction a conduit à l’isolement de la population de l’île, en raison de l’abandon de la navigation sur de longues distances. Les nouvelles analyses ADN montrent que non seulement les Rapanuis étaient résilients, mais continuaient également à effectuer des traversées longue distance.

Source : Nature

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