Si la population mondiale vieillit et que le taux de mortalité recule globalement, certaines tranches d’âge échappent à cette tendance. Une étude majeure sur les causes de décès et d’invalidité dans le monde relève en effet une hausse préoccupante de la mortalité chez les adolescents et les jeunes adultes au cours des dernières décennies. Cette évolution, contrastée selon les régions, serait liée à une augmentation de la consommation de drogues et d’alcool dans les pays développés, tandis que dans les pays à faible revenu, les maladies infectieuses continuent de peser lourdement.
Publiées chaque année, les études sur la charge mondiale de morbidité (GBD) constituent un effort continu et exhaustif visant à mesurer l’évolution de l’état de santé mondial. La plus récente, codirigée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de l’Université de Washington et présentée dimanche dernier au Sommet mondial de la santé à Berlin, s’appuie sur le travail de 16 500 chercheurs répartis à travers le monde.
Elle a inclus la collecte et l’analyse de données relatives à 375 maladies et blessures, ainsi qu’à 88 facteurs de risque, répartis par âge et sexe, à l’échelle mondiale, régionale et nationale, couvrant 204 pays et territoires et 660 entités infranationales. Au total, plus de 310 000 sources de données, couvrant la période de 1990 à 2023, ont été utilisées, dont 30 % sont inédites.
Les résultats, publiés dans la revue The Lancet, mettent en lumière une progression inquiétante des maladies chroniques et non transmissibles, en particulier chez les jeunes, laissant entrevoir de nouveaux défis sanitaires. « La croissance rapide du vieillissement de la population mondiale et l’évolution des facteurs de risque ont marqué le début d’une nouvelle ère de défis pour la santé mondiale », a déclaré dans un communiqué Christopher Murray, directeur de l’IHME.
« Les données présentées dans l’étude sur la charge mondiale de morbidité constituent un signal d’alarme et exhortent les gouvernements et les responsables de la santé à réagir rapidement et stratégiquement aux tendances inquiétantes qui transforment les besoins de santé publique », a-t-il ajouté.
Une hausse du taux de suicide chez les jeunes des pays développés
Selon l’étude, l’espérance de vie mondiale est revenue à ses niveaux d’avant la pandémie de Covid-19 : 76,3 ans pour les femmes et 71,5 ans pour les hommes, soit près de vingt ans de plus qu’au milieu du XXe siècle. Toutefois, d’importantes disparités persistent : elle atteint 83 ans dans les pays développés, contre 62 ans seulement dans les pays en développement.
Chez les adolescents et jeunes adultes, la plus forte hausse du taux de mortalité entre 2011 et 2023 a été observée chez les 20-39 ans dans les pays à revenu élevé d’Amérique du Nord. Les chercheurs attribuent cette évolution principalement à la hausse du taux de suicide, aux overdoses de drogues et à la consommation excessive d’alcool. Le taux de décès chez les jeunes âgés de 5 à 19 ans a également augmenté dans cette région, ainsi qu’en Europe de l’Est et dans les Caraïbes.
En revanche, le taux de mortalité chez les enfants de 5 à 14 ans en Afrique subsaharienne, pour la période 1950-2021, était supérieur aux estimations antérieures. Ce phénomène serait attribuable à une recrudescence des infections respiratoires, de la tuberculose, ainsi qu’à d’autres maladies infectieuses et accidents. La mortalité des femmes de 15 à 29 ans dans la région s’avère quant à elle supérieure de 61 % aux estimations précédentes, en raison notamment de la mortalité maternelle, des accidents de la route et de la méningite.
Les maladies non transmissibles en hausse
L’analyse des principales causes d’invalidité dans le monde révèle que les maladies non transmissibles représentent désormais près des deux tiers des cas. Elles incluent les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et le diabète, posant de nouveaux défis en matière de santé publique, notamment dans les régions à faible revenu.
Si la Covid-19 constituait la première cause de décès en 2021, elle est tombée à la 20e place en 2023, dépassée par les cardiopathies ischémiques et les AVC. Viennent ensuite dans le classement la broncho-pneumopathie chronique obstructive, les infections des voies respiratoires inférieures et les troubles néonatals. La mortalité liée au diabète et aux maladies rénales chroniques a également progressé depuis les années 1990.
Selon les chercheurs, outre ces affections, la hausse de la mortalité chez les jeunes adultes, en particulier dans les pays à revenu élevé, pourrait être partiellement liée à la progression des troubles mentaux tels que l’anxiété et la dépression, surtout chez les femmes. Les troubles anxieux ont augmenté globalement de 63 %, et les troubles dépressifs de 26 %.
Des facteurs de risque pour la plupart modifiables
L’équipe de recherche indique que près de la moitié de la mortalité et de la charge d’invalidité mondiales sont attribuables à 88 facteurs de risque modifiables. Parmi eux figurent l’hypertension artérielle, la pollution aux particules fines, le tabagisme, la consommation de drogues, une glycémie à jeun élevée ou encore un indice de masse corporelle (IMC) élevé. Le nombre d’années de vie avec invalidité lié à un IMC élevé a, par exemple, augmenté de 11 % entre 2010 et 2023, tandis que ceux liés à la drogue et à l’hyperglycémie ont respectivement progressé de 9 % et 6 %.
Dans l’ensemble, ces données soulignent la nécessité urgente d’étendre les stratégies de prévention en santé publique aux adolescents et aux jeunes adultes, et non plus seulement aux enfants et aux personnes âgées. Ces stratégies devront, en outre, se concentrer davantage sur les maladies non transmissibles, en accentuant, par exemple, les efforts de sensibilisation à la nutrition et à l’hygiène de vie.
Toutefois, « des décennies d’efforts visant à combler le fossé dans les régions à faible revenu, où persistent de fortes inégalités sanitaires, risquent d’être anéanties par les récentes coupes budgétaires dans l’aide internationale », avertit Emmanuela Gakidou, auteure principale de l’étude et professeure à l’IHME. « Ces pays dépendent du financement international pour les soins primaires, l’accès aux médicaments et aux vaccins essentiels. En son absence, les inégalités continueront de se creuser. »