Les missions spatiales de longue durée imposent des contraintes extrêmes de nature physique et psychologique aux astronautes. Une étude menée par l’Agence spatiale européenne (ESA) s’est alors concentrée sur la biologie de l’hibernation dans la réduction du métabolisme, et donc du stress, permettant de réduire les besoins en oxygène, nourriture et eau. La torpeur engendrée nécessitera toutefois une surveillance de l’équipage par l’intelligence artificielle.
Lorsque les astronautes préparent un vol de longue durée, ils font face à des défis logistiques importants. En effet, la taille des vaisseaux ne permet pas de stocker beaucoup de matériel et de vivres. Une telle virée nécessite « environ 30 kg par astronaute et par jour, et en plus de cela, nous devons tenir compte des radiations ainsi que des défis mentaux et physiologiques », explique dans un communiqué Jennifer Ngo-Anh, l’une des auteurs de l’étude et coordinatrice de la recherche et de la charge utile de l’exploration humaine et robotique à l’ESA.
C’est alors que l’hibernation prend tout son sens, puisqu’en état de torpeur, les astronautes n’auraient besoin ni de boire, ni de s’alimenter. Dans le règne animal, tout l’intérêt de l’hibernation est d’épargner de l’énergie et des ressources ; les animaux réduisent l’activité de leur métabolisme, leur fréquence cardiaque, leur respiration, la température de leurs corps, et la seule énergie requise pour le fonctionnement de ce dernier est extraite des graisses stockées.
Le modèle de l’ours
Les tardigrades, les grenouilles et les reptiles sont les champions de l’hibernation, même si l’ours resterait le meilleur modèle pour l’Homme car il hiverne (un stade moins critique que l’hibernation). Sa masse corporelle est similaire à la nôtre et il ne fait descendre sa température que de quelques degrés pour l’hivernation, une limite considérée comme plus sûre. Comme l’ours, les chercheurs encourageraient les astronautes à constituer des réserves en graisses avant de se plonger dans une sorte d’hivernation accentuée, ou une sorte d’hibernation partielle.
Mais passer six mois dans cet état ne présenterait-il pas un risque pour la santé humaine ? Bien au contraire, d’après les scientifiques. « Les recherches montrent que les ours sortent de leur tanière en bonne santé au printemps, avec une perte marginale de masse musculaire et il ne leur faut qu’une vingtaine de jours pour revenir à la normale. Cela nous apprend que l’hivernation et l’hibernation préviennent l’atrophie des muscles et des os due à la désuétude et protège contre les lésions tissulaires », explique Alexander Choukér, professeur de médecine à l’université Ludwig-Maximilians de Munich, en Allemagne.
En outre, « en réduisant le taux métabolique d’un équipage en route vers Mars à 25% de l’état normal, on réduirait considérablement la quantité de fournitures et la taille de l’habitat, ce qui rendrait l’exploration de longue durée plus réalisable », rapportent les auteurs. Ces derniers estiment que fonctionner ainsi limiterait l’ennui de l’équipage, le stress et les niveaux d’agressivité liés au confinement dans un module loin de la Terre.
Une autonomie complète grâce à l’intelligence artificielle
Dans des espèces de nacelles à coque souple, un environnement calme avec des lumières tamisées, une température de moins de 10 °C et une humidité élevée… le voyage en hibernation imposera son cadre. Chaque capsule sera également entourée de récipients d’eau pour protéger les astronautes des radiations.
La mission devra se dérouler de manière complètement autonome, et ce grâce à l’intelligence artificielle. Digne d’un épisode de Black Mirror, les constantes des astronautes seront contrôlées en permanence par des capteurs portables : leur posture, leur température et leur rythme cardiaque. L’intelligence artificielle gérera tout autant les opérations de routine que les urgences et les anomalies. « En plus de surveiller la consommation d’énergie et les opérations autonomes, les ordinateurs embarqués maintiendront les performances optimales du vaisseau spatial jusqu’à ce que l’équipage puisse être réveillé », explique Choukér.
Autre avantage, l’hibernation pourrait s’appliquer au champ médical sur Terre. S’il est vrai que la mise en « hibernation » des humains existe dans les hôpitaux depuis les années 1980 (pour diminuer le métabolisme des patients pendant les opérations chirurgicales longues et lourdes), elle pourrait se développer davantage. Le fait de remplacer le sang par un liquide glacé est étudié. Pendant que les chirurgiens opèreraient (par exemple pour arrêter une hémorragie), cela permettrait de diminuer les besoins en flux sanguin des organes vitaux pour les protéger.