L’horloge nucléaire, exploitant l’isomère de thorium-229 et dont la précision est supérieure à l’horloge atomique, représente un bond en avant dans la précision temporelle. Ses applications potentielles, allant de la physique fondamentale à la géodésie, promettent de nouvelles perspectives en recherche théorique et appliquée. Une avancée majeure dans la mesure du temps avec le thorium-229 à ISOLDE (CERN) ouvre la voie à la conception d’horloges nucléaires viables.
Une horloge nucléaire utilise les transitions d’état du noyau atomique pour mesurer le temps avec une précision extrême, surpassant les horloges atomiques traditionnelles. Récemment, une équipe internationale a utilisé les installations uniques d’ISOLDE (Isotope Separator On Line DEvice) au CERN pour mesurer, pour la première fois, la désintégration radiative de l’état métastable du thorium-229m. Les résultats ont été publiés dans Nature.
Cette mesure, grâce à une nouvelle approche, ouvre la voie à la manipulation directe par laser d’un état nucléaire afin de concevoir une toute nouvelle génération d’horloges nucléaires. Cette avancée représente un tournant dans la quête de précision en métrologie, promettant des applications directes en navigation de pointe et dans l’analyse sismique.
Thorium-229 : un isomère unique
Le thorium-229 joue un rôle central dans le développement de l’horloge nucléaire en raison de son état excité métastable, également connu sous le nom d’isomère. Ce qui le rend particulièrement remarquable, c’est son énergie d’excitation très faible, mesurée à environ 8.19 ± 0.12 eV.
Cette caractéristique unique du thorium-229 est cruciale pour l’horloge nucléaire. En effet, la faible énergie d’excitation se traduit par une ligne spectrale extrêmement étroite. Dans le contexte des horloges, une ligne spectrale étroite signifie que la fréquence de la radiation émise ou absorbée par l’atome (ou le noyau, dans ce cas) est très précise et peu sujette aux variations. Cela permet une mesure du temps extrêmement précise, bien plus qu’avec les horloges atomiques.
Avantages sur les horloges atomiques
Les horloges atomiques, telles que celles basées sur le césium-133, fonctionnent en mesurant les transitions hyperfines de l’atome. Ces horloges sont extrêmement précises, avec une marge d’erreur d’une seconde tous les 300 millions d’années. Les horloges optiques, qui utilisent des ions d’aluminium, vont encore plus loin en matière de précision, perdant ou gagnant une seconde toutes les 33 milliards d’années.
Dans une horloge atomique, les électrons sont relativement exposés et peuvent être influencés par des facteurs externes, ce qui peut légèrement altérer leur fréquence de transition et, par conséquent, la précision de l’horloge. En revanche, dans une horloge nucléaire, les transitions se produisent au cœur du noyau atomique, un environnement bien plus isolé et protégé. Cette isolation réduit considérablement l’impact des influences extérieures, permettant ainsi une mesure du temps d’une précision encore plus grande.
Vers la réalisation d’une horloge nucléaire
La conception et la mise en œuvre d’une horloge nucléaire représentent un défi technique majeur, principalement en raison des caractéristiques uniques du thorium-229 et des exigences spécifiques de son utilisation. L’un des aspects les plus critiques est l’excitation laser directe de l’isomère de thorium-229. Cette étape nécessite une technologie laser très spécifique, capable de cibler avec précision la faible énergie d’excitation de l’isomère.
En outre, la durée de vie prolongée de l’état excité du thorium-229 est un autre facteur crucial pour le fonctionnement stable de l’horloge. Cette longue durée de vie est nécessaire pour maintenir l’état excité assez longtemps pour permettre des mesures précises et fiables. Cela implique une gestion délicate de l’isomère pour maintenir son état excité sans perturbation excessive, ce qui pourrait affecter la précision de l’horloge.
Dans une nouvelle technique basée sur la spectroscopie ultraviolette sous vide, l’auteur principal Sandro Kraemer de la KU Leuven (Belgique) et ses collègues ont utilisé ISOLDE pour générer un faisceau isomère avec un numéro de masse atomique A = 229, suivant la chaîne de désintégration 229 Fr → 229 Ra → 229 Ac → 229 Ép/ 229m Ép. Une fraction de 229 Ac se désintègre jusqu’à l’état métastable et excité de 229 Th, l’isomère 229m Th.
Pour y parvenir, l’équipe a incorporé le 229 Ac produit dans six cristaux distincts de fluorure de calcium et de fluorure de magnésium à différentes épaisseurs. Les chercheurs ont mesuré, à l’aide d’un spectromètre ultraviolet, le rayonnement émis lorsque l’isomère se détendait jusqu’à son état fondamental, déterminant que la longueur d’onde de la lumière observée était de 148,7 nm. Cela correspond à une énergie de 8,338 ± 0,024 eV — une précision 7 fois plus élevée que les meilleures mesures précédentes.
Kraemer explique dans un communiqué que leur approche a également permis de déterminer la durée de vie de l’isomère dans le cristal de fluorure de magnésium, ce qui aide à prédire la précision d’une horloge nucléaire au thorium-229 basée sur ce système à l’état solide. Le résultat (16,1 ± 2,5 min) indique qu’une précision d’horloge compétitive avec celle des horloges atomiques les plus précises d’aujourd’hui est possible, tout en étant également quatre ordres de grandeur plus sensible à un certain nombre d’effets au-delà du modèle standard.
Des applications pratiques concrètes
L’horloge nucléaire n’est pas seulement un outil de mesure du temps. Sa sensibilité extrême aux variations des constantes fondamentales et à la matière noire ultralégère offre des perspectives pour tester les théories de la physique fondamentale. Elle pourrait détecter des variations infimes de la constante de structure fine, un élément clé pour la compréhension de l’Univers.
Au-delà de la physique, l’horloge nucléaire pourrait révolutionner des domaines tels que les systèmes de positionnement global, grâce à sa sensibilité à l’effet de décalage gravitationnel. Elle pourrait également jouer un rôle crucial dans la détection des fluctuations du potentiel gravitationnel terrestre, utile pour surveiller les activités sismiques et tectoniques.