Bien que les modèles théoriques se soient affinés et les observations indirectes aient apporté de nombreuses informations essentielles à leur compréhension, les trous noirs demeurent les objets cosmiques les plus mystérieux de l’Univers. En utilisant le cadre de la théorie des cordes, le physicien Leonard Susskind a récemment proposé une explication sur la façon dont les trous noirs évoluent, notamment concernant leur expansion.
Les trous noirs absorbent la matière environnante et grandissent en fonction de la masse absorbée. En effet, le rayon de Schwarzschild d’un trou noir est directement proportionnel à sa masse. Ainsi, lorsqu’il absorbe de la matière, sa masse augmente, et donc sa taille également. Toutefois, malgré cet appétit vorace, les trous noirs ne sont pas des aspirateurs cosmiques absorbant progressivement l’Univers. Et pour expliquer cela, le célèbre physicien Leonard Susskind suggère une nouvelle hypothèse.
Récemment, Susskind a donné une série de conférences lors de l’édition 2018 du PiTP, intitulée « Des Qubits à l’Espace-temps » — publiées sur le serveur de pré-publication arXiv — dans lesquelles il expose la notion de complexité quantique, son analogie avec l’entropie dans le cadre d’une Seconde Loi de la Complexité, et les applications des notions aux trous noirs.
La théorie de la complexité émerge dans les années 1960 sous l’impulsion des mathématiciens Kolmogorov, Solomonov et Chaitin. Elle permet de quantifier la quantité d’information d’un objet. En effet, la théorie de la complexité estime que plus la quantité d’information pour décrire un objet est élevée, plus celui-ci est complexe et structuré.
Utilisée en physique classique, la complexité peut être transposée à la mécanique quantique en utilisant la notion de qubit (bit quantique). Il devient dès lors possible de quantifier l’information quantique (complexité quantique) d’un système.
Susskind suggère qu’il existe une thermodynamique de la complexité quantique assimilable à la seconde loi de la thermodynamique sur l’entropie — l’entropie étant déjà elle-même une mesure de la quantité d’information qu’un système renferme.
Le physicien a décidé d’appliquer ces travaux préliminaires aux trous noirs, dont Stephen Hawking et Jacob Bekenstein ont montré, dans les années 1970, qu’ils possédaient bien une entropie dans le cadre de la thermodynamique des trous noirs. Pour ce faire, Susskind a utilisé un outil théorique particulier appelé correspondance AdS/CFT, développé par le théoricien Juan Maldacena en 1997 dans le cadre de la théorie des cordes.
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La correspondance AdS/CFT, encore appelée dualité de Maldacena, permet de relier deux types de théories. D’un côté, les théories des champs conformes (CFT) correspondant à des théories quantiques des champs — comme les théories de jauge du Modèle Standard — décrivant les interactions élémentaires, exceptée la gravité. Et de l’autre, des théories de la gravité quantique basées sur des espaces anti de Sitter (AdS), c’est-à-dire des espaces possédant une constante cosmologique négative.
Ce cadre permet de passer d’une théorie à l’autre lorsqu’il s’agit de réaliser des calculs particuliers. Certains calculs peuvent s’avérer très complexes dans le cadre d’une théorie des champs conformes, mais bien plus simples quand ils sont transposés dans le cadre d’une théorie AdS de la gravité quantique, et vice-versa. La correspondance AdS/CFT permet donc de transposer des calculs ou des situations d’une théorie à l’autre pour les simplifier, au moyen d’outils mathématiques de transposition appelés des dualités.
En se basant sur cette conjecture, Susskind montre que la complexité quantique d’un trou noir se reflète dans son volume interne. Ainsi, un trou noir croît en augmentant en complexité, mais de manière interne. En d’autres mots, l’extension des trous noirs se déroule à l’intérieur, et non vers l’extérieur. L’évolution de la complexité quantique d’un trou noir serait donc strictement interne.
En transposant la théorie de la complexité aux trous noirs, cela voudrait donc dire que davantage de puissance de calcul signifie un volume interne plus important.
Bien que l’hypothèse de Susskind soit encore très spéculative et doive encore passer par le processus d’évaluation par les pairs, suggérer que la complexité quantique d’un trou noir serait responsable de l’évolution de son volume interne pourrait avoir d’importantes répercussions sur les modèles théoriques actuels.