Un nouveau modèle d’apprentissage profond baptisé « Explainable AI » (IA Explicable) a mis au jour des différences organisationnelles fondamentales entre le cerveau féminin et masculin, avec une fiabilité supérieure à 90 %. L’outil se distingue par sa capacité à « expliquer » les différences subtiles qu’il perçoit, plutôt que de les détecter uniquement. Ces découvertes pourraient permettre d’améliorer les stratégies de prise en charge des troubles et maladies neuropsychiatriques affectant différemment les femmes et les hommes.
L’hypothèse selon laquelle le sexe joue un rôle essentiel dans le développement et le fonctionnement cérébral a longtemps été un sujet de controverse. Pourtant, le sexe détermine par exemple les flux hormonaux auxquels le cerveau est exposé tout au long de la vie, notamment au stade de développement précoce, à la puberté et au cours du vieillissement.
De précédentes études basées sur la neuroimagerie ont également révélé des différences dans la cytoarchitecture du cerveau des hommes et des femmes. Il a été rapporté que les cerveaux masculins sont environ 10 % plus volumineux que les féminins. En revanche, certaines régions, dont la paralimbique frontale et médiale, sont plus étendues chez les femmes. Ces structures sont impliquées dans le traitement des émotions, l’établissement d’objectifs, la motivation et la maîtrise de soi.
Des différences de connectivité fonctionnelle ont aussi été mises au jour. Ces données concordent avec les résultats d’une récente étude, suggérant des différences sexuelles dans l’intéroception (la capacité à percevoir des sensations corporelles et de l’état interne du corps). Cette capacité — liée à la conscience de soi — serait plus élevée chez les femmes.
D’autre part, certains troubles et maladies neurologiques et psychiatriques affectent différemment les hommes et les femmes. Par exemple, les femmes ménopausées représentent 60 % des cas d’Alzheimer (la forme de démence la plus fréquente). Et selon une récente recherche, les caractéristiques cérébrales associées aux systèmes moteurs et au langage diffèrent chez les hommes et les femmes autistes.
Cependant, les précédentes études, focalisées sur la manière dont les régions cérébrales s’interconnectent, n’ont pas mis en évidence de façon claire des indicateurs cérébraux cohérents et spécifiques au sexe. Afin d’établir ces différences, une équipe de l’Université de médecine de Stanford a développé un nouveau modèle d’IA permettant d’effectuer une analyse plus poussée.
« L’une des principales motivations de cette étude est que le sexe joue un rôle crucial dans le développement du cerveau humain, dans le vieillissement et dans la manifestation de troubles psychiatriques et neurologiques », explique dans un communiqué de l’Université de Stanford, Vinod Menon, auteur principal et de l’étude. « L’identification de différences sexuelles cohérentes et reproductibles dans le cerveau adulte en bonne santé constitue une étape cruciale vers une compréhension plus approfondie des vulnérabilités spécifiques au sexe dans les troubles psychiatriques et neurologiques », ajoute-t-il.
Un modèle expliquant les prédictions
Le modèle développé par Menon et son équipe consiste en un réseau de neurones formant ce qu’ils ont baptisé « Explainable AI ». En effet, les modèles précédemment utilisés pour détecter les différences cérébrales entre les sexes permettaient uniquement de trier les données en deux groupes, mais ne fournissaient pas d’explications sur la manière dont ce tri s’effectuait. En revanche, celui de la nouvelle étude ratisse et classifie un vaste ensemble de données tout en fournissant des indications sur la manière dont il a pris les décisions pour prédire le résultat.
Dans le cadre de la nouvelle étude — détaillée sur la plateforme PNAS —, les chercheurs ont utilisé leur modèle d’IA pour classifier environ 1500 images IRM cérébrales dynamiques d’hommes et de femmes. Cette technique permet de capturer l’interaction complexe entre les différentes régions du cerveau. Les données proviennent de divers centres de recherche et de santé basés en Europe et aux États-Unis.
Premièrement, le modèle a identifié avec une fiabilité de 90 % les données appartenant à chaque sexe. Ensuite, il a identifié les réseaux cérébraux les plus importants, qui lui ont permis de catégoriser les données. Il a été constaté que l’IA se tournait le plus souvent vers le réseau du mode par défaut (s’activant lorsqu’on laisse libre cours à ses pensées et que l’on n’est pas focalisé sur le monde extérieur), le striatum et le réseau limbique pour « décider » dans quelle catégorie classer les données. Le premier est impliqué dans le traitement des informations autoréférentielles, tandis que les second et troisième jouent un rôle dans l’apprentissage et le traitement des récompenses.
Ces résultats suggèrent qu’il existe des différences significatives dans le cerveau selon le sexe, et qu’elles n’ont tout simplement pas été identifiées de manière fiable dans le cadre des précédentes études. « C’est une preuve très solide que le sexe est un déterminant important de l’organisation du cerveau humain », estime Menon.
Des implications comportementales
Dans une seconde phase de l’étude, l’équipe a développé d’autres modèles dérivés du premier pour prédire la performance des participants dans certaines tâches cognitives, en fonction des différences fonctionnelles liées au sexe. Les résultats ont révélé que les caractéristiques variant selon le sexe ont des implications comportementales significatives.
Toutefois, il est important de noter que l’étude n’a pas permis de déterminer si ces différences apparaissent tôt dans la vie ou si elles peuvent être induites par des différences hormonales ou des variations de circonstances sociétales dans lesquelles les hommes et les femmes évoluent.
Néanmoins, « cela me dit que négliger les différences entre les sexes dans l’organisation du cerveau pourrait nous amener à passer à côté de facteurs clés à l’origine des troubles neuropsychiatriques », suggère Menon. Par ailleurs, le modèle d’IA pourrait également être appliqué à l’étude d’autres aspects du fonctionnement cérébral. L’équipe prévoit dans ce sens de donner libre accès à son outil, pour que d’autres chercheurs puissent en bénéficier.