En effectuant des fouilles dans la grotte d’El Mirador, en Espagne, des archéologues ont identifié les restes d’une famille d’au moins 11 individus datant d’environ 5 600 ans victime de cannibalisme. Des ossements, appartenant à des adultes, des adolescents et des enfants, présentaient des marques d’écorchage, de cuisson au feu et de morsures humaines. Cette découverte témoigne de la violence intercommunautaire qui caractérisait les communautés paysannes du Néolithique.
Les pratiques funéraires dans la péninsule Ibérique au Néolithique sont incroyablement diverses, ce qui pose des défis aux archéologues quant à l’interprétation de la manière dont les sociétés d’antan considéraient la mort. Au début de cette période, il y a entre 7 500 et 6 000 ans avant notre ère, les preuves de manipulation de restes humains allant au-delà du simple dépôt dans les sites funéraires sont rares. Cependant, les pratiques sont devenues plus élaborées ultérieurement.
Elles vont par exemple du dépôt des ossements avec des restes d’animaux, de céramiques ou autres artéfacts, à des enterrements avec du mobilier funéraire, aux côtés d’autres individus qui en étaient dépourvus. Les enterrements collectifs à l’intérieur de structures mégalithiques ou de grottes étaient courants à partir du Néolithique moyen jusqu’au Chalcolithique (ou l’âge du cuivre). Puis, au cours de l’Age du bronze, les pratiques funéraires sont progressivement passées aux enterrements individuels.
Cependant, bien que la plupart des rituels funéraires du Néolithique soient bien étudiés, certaines pratiques restent difficiles à interpréter. Des restes humains ont par exemple été exhumés avec des objets domestiques, tandis que d’autres présentent des traces de manipulation qui ne semblent pas liées à une forme de deuil ou de commémoration. Il a été suggéré que ces pratiques pourraient être associées à des destructions rituelles des corps d’ennemis, certains types de traitement montrant notamment un détachement émotionnel apparent.
D’un autre côté, des épisodes de cannibalisme humain ont été documentés dans la péninsule Ibérique il y a jusqu’à un million d’années. Cependant, les preuves directes de manipulation des corps à cet effet sont à la fois rares et difficiles à interpréter en raison de l’ambiguïté et de la diversité des pratiques funéraires de l’époque.
Dans une étude publiée hier dans la revue Scientific Reports, une équipe codirigée par l’Institut catalan de paléoécologie humaine et d’évolution sociale (IPHES) a trouvé de nouvelles preuves de cette pratique macabre dans la grotte d’El Mirador, dans la Sierra de Atapuerca, dans le nord de l’Espagne.
« Il ne s’agissait ni d’une tradition funéraire ni d’une réponse à une famine extrême », a déclaré dans un communiqué Francesc Marginedas, co-auteur de l’étude et chercheur à l’IPHES et à l’Université Rovira i Virgili, en Espagne. « Les faits suggèrent une possible action violente, compte tenu du court laps de temps pendant lequel elle s’est déroulée, possiblement entre des communautés paysannes en conflit », indique-t-il.
Des traces de hachage et de morsures humaines
Les chercheurs ont analysé 650 fragments d’ossements humains appartenant à au moins 11 personnes, dont des adultes, des adolescents et des enfants âgés entre 7 et plus de 50 ans. Les restes proviennent de deux sites différents de la grotte d’El Mirador et 239 fragments étaient mêlés à du matériel provenant d’une sépulture collective plus récente. 222 ossements présentaient des changements de couleur liés à une cuisson au feu, tandis que 69 présentaient des traces de boucherie. 132 os présentaient des traces de découpe et de grattage visant probablement à extraire la chair. Des traces de morsures humaines et des fractures visant à extraire la moelle osseuse ont également été identifiées.

D’après l’équipe, le traitement des corps a probablement été effectué après la mort. À noter que d’autres preuves de cannibalisme préhistorique avec des marques similaires ont précédemment été découvertes à El Mirador. Cependant, ces restes étaient plus récents, datant notamment de l’Age du bronze (il y a 4 600 à 4 100 ans) et n’ont pas de lien avec ceux nouvellement découverts, selon les chercheurs.
La datation au radiocarbone indique que les nouveaux restes datent d’entre 5 709 et 5 573 ans. L’analyse isotopique du strontium indique qu’ils étaient originaires de la même région (probablement de la même famille) et ont été massacrés sur une courte période, peut-être en seulement quelques jours. Si les motivations qui auraient pu conduire à un tel acte restent floues, l’équipe n’a trouvé aucun signe indiquant une pratique rituelle ou un épisode éventuel de famine.
Une pratique témoignant de la violence et de l’instabilité de l’époque
D’après les chercheurs, la pratique pourrait être liée à un conflit, ce qui concorde avec les nombreuses preuves de violences intergroupes au Néolithique. Cette période constituait notamment une transition entre la chasse et la cueillette, et les pratiques agricoles en Europe et était caractérisée par des conflits fréquents et une instabilité généralisée.
« Le conflit et le développement de stratégies pour l’éviter font partie intégrante de la nature humaine », explique Antonio Rodríguez-Hidalgo, co-auteur de l’étude, archéologue à l’Institut d’archéologie de Mérida et chercheur affilié à l’IPHES. « L’ethnographie et l’archéologie nous montrent que même dans les sociétés peu hiérarchisées, des épisodes de violence surviennent, où les ennemis sont également détruits, dans une forme d’élimination extrême », conclut-il.
Vidéo de présentation de l’étude: