Nous attendions tous avec impatience le 12 mai, et l’annonce de la NASA qui se voulait extraordinaire, concernant une observation de l’Event Horizon Telescope (EHT), réseau mondial de radiotélescopes. La nouvelle image d’EHT est comme attendu celle du trou noir central de la Voie lactée, connu sous le nom de Sagittarius A* (Sgr A*). Elle révèle en réalité la zone proche de « l’horizon des événements » (où se situe le disque d’accrétion), la limite d’un trou noir dont rien ne peut s’échapper. Ce résultat fournit des preuves certaines que l’objet est en effet un trou noir et donne des indices précieux sur le fonctionnement de ces géants cosmiques, dont les astronomes pensent qu’ils résident au centre de la plupart des galaxies.
L’image était attendue depuis longtemps et supposée quant à la nature de l’objet massif qui se trouve au centre même de notre galaxie. Les scientifiques avaient déjà observé des étoiles en orbite autour de « quelque chose d’invisible », de compact et très massif au centre de la Voie lactée. Ces indices suggéraient évidemment, et fortement, que cet objet, Sagittarius A*, était un trou noir supermassif, et l’image d’aujourd’hui en fournit la première preuve visuelle directe.
Étant donné que le trou noir se situe à environ 27 000 années-lumière de la Terre, c’est comme observer un donut posé sur la Lune ! Pour l’imager, l’équipe a utilisé le puissant EHT, reliant huit observatoires radio existants à travers la planète pour former un seul télescope virtuel de la taille de la Terre. L’EHT a observé Sgr A* plusieurs nuits, collectant des données pendant plusieurs heures d’affilée. Les résultats de l’équipe EHT sont publiés aujourd’hui dans un numéro spécial de The Astrophysical Journal Letters.
« L’horizon » de notre origine, similaire à M87*
L’image est basée sur des données obtenues en avril 2017. Effectivement, lorsque l’EHT a observé Sgr A* en avril 2017, les scientifiques de la collaboration ont également scruté le trou noir avec des installations qui détectent différentes longueurs d’onde. Dans cette campagne d’observation à plusieurs longueurs d’onde, ils ont rassemblé des données de rayons X provenant de l’observatoire à rayons X Chandra de la NASA, du réseau de télescopes nucléaires spectroscopiques (NuSTAR) et de l’observatoire Neil Gehrels Swift ; les données radio du réseau d’interféromètres à très longue base (VLBI pour Very Long Baseline Interferometry) d’Asie de l’Est et du réseau VLBI mondial ; ainsi que les données infrarouges du Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral au Chili.
Bien que nous ne puissions pas voir le trou noir lui-même, car complètement « noir », le disque de matière incandescent qui l’entoure (appelé disque d’accrétion) révèle une signature unique : une région centrale sombre (appelée « ombre ») entourée de cette structure brillante en forme d’anneau. La nouvelle vue capture la lumière courbée par la puissante gravité du trou noir, qui est quatre millions de fois plus massif que notre soleil.
Geoffrey Bower, scientifique du projet EHT, de l’Institut d’astronomie et d’astrophysique Academia Sinica (Taipei), déclare dans un communiqué : « Nous avons été stupéfaits de voir à quel point la taille de l’anneau correspondait aux prédictions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Ces observations sans précédent ont considérablement amélioré notre compréhension de ce qui se passe au centre même de notre galaxie et offrent de nouvelles perspectives sur la façon dont ces trous noirs géants interagissent avec leur environnement ».
Il faut savoir que les chercheurs ont dû développer de nouveaux outils sophistiqués qui rendaient compte du mouvement du gaz autour de Sgr A*. Alors que M87 * était une cible plus facile et plus stable, dont presque toutes les images se ressemblaient, ce n’était pas le cas pour Sgr A*. L’image du trou noir Sgr A* est ainsi une moyenne des différentes images extraites par l’équipe, révélant enfin pour la première fois le géant qui se cache au centre de notre galaxie.
De manière étonnante, l’image de Sgr A* révèle la même structure annulaire et la même ombre que celles observées dans l’image du trou noir M87*. L’anneau que l’ont voit est le résultat d’une émission lentille d’un diamètre prédit avec précision par la relativité générale en utilisant uniquement la masse et la distance du trou noir.
Le trou noir et son environnement
Un second objectif important, pour l’équipe, était de capturer les éruptions de rayons X, entraînées par des processus magnétiques similaires à ceux observés sur le Soleil, mais qui peuvent être des dizaines de millions de fois plus puissantes. Ces éruptions se produisent quotidiennement dans la zone de ciel observée par l’EHT, une région légèrement plus grande que l’horizon des événements de Sgr A*, le point de non-retour pour la matière et la lumière. Un autre objectif était d’avoir un aperçu critique de ce qui se passe à plus grande échelle.
Alors que le résultat d’EHT montre des similitudes frappantes entre Sgr A* et le précédent trou noir qu’il a imagé, M87*, cette image, plus détaillée, est aussi beaucoup plus complexe. Néanmoins, par une « coïncidence cosmique », le diamètre angulaire observé de Sgr A* ne diffère que légèrement de celui de M87*, qui est 1500 fois plus massif et 2000 fois plus éloigné. Ensemble, les résultats de Sgr A* et M87* établissent que les anneaux à lentilles sont des caractéristiques universelles des trous noirs et que la relativité générale peut les prédire de manière cohérente sur trois ordres de grandeur de masse de trou noir.
Daryl Haggard de l’Université McGill à Montréal, au Canada, l’un des scientifiques principaux de la campagne multi-longueur d’onde, explique : « Si la nouvelle image EHT nous montre l’œil d’un ouragan de trou noir, alors ces observations à plusieurs longueurs d’onde révèlent des vents et des pluies équivalents à des centaines, voire des milliers de kilomètres au-delà. Comment cette tempête cosmique interagit-elle avec et même perturbe-t-elle son environnement galactique ».
Des éruptions de rayons X d’une luminosité similaire à celle-ci sont régulièrement observées avec Chandra, mais c’est la première fois que l’EHT observe Sgr A*, offrant une opportunité extraordinaire d’identifier le mécanisme responsable à partir d’images réelles. L’intensité et la variabilité des ondes millimétriques observées avec l’EHT augmentent dans les quelques heures qui suivent immédiatement l’éruption de rayons X plus brillante, un phénomène non détecté dans les observations millimétriques quelques jours plus tôt. L’analyse et l’interprétation des données EHT immédiatement après l’éruption feront l’objet de publications futures.
De plus, une question cruciale concerne la façon dont les trous noirs collectent, ingèrent ou même expulsent les matériaux qui les entourent à une vitesse proche de celle de la lumière, dans un processus appelé « accrétion ». Ce processus est fondamental pour la formation et la croissance des planètes, des étoiles et des trous noirs de toutes tailles, dans tout l’univers.
D’ailleurs, les images Chandra montrant le gaz chaud autour de Sgr A* sont essentielles pour les études de cette accrétion, car elles indiquent la quantité de matière capturée par la gravité du trou noir dans les étoiles proches, ainsi que la quantité qui parvient à se rapprocher de l’horizon des événements. Cette information critique n’est disponible pour aucun autre trou noir dans l’univers, y compris M87*, avec les télescopes actuels.
Les scientifiques sont enthousiastes, car avoir enfin les images de deux trous noirs de tailles très différentes leur offre l’opportunité de comprendre comment ils se comportent et de les comparer. Par suite, ils vont utiliser les nouvelles données pour tester des théories et des modèles sur le comportement du gaz autour des trous noirs supermassifs. Ce processus n’est pas encore entièrement compris, mais les chercheurs pensent qu’il joue un rôle clé dans la formation et l’évolution des galaxies.
Keiichi Asada de l’Institut d’astronomie et d’astrophysique, Academia Sinica (Taipei), scientifique de l’EHT, conclut : « Nous pouvons maintenant étudier les différences entre ces deux trous noirs supermassifs pour obtenir de nouveaux indices précieux sur leur fonctionnement […]. Nous pouvons donc aller beaucoup plus loin, comme jamais auparavant, dans l’étude du comportement de la gravité, dans ces environnements extrêmes ».