Considéré comme l’organisme le plus complexe du corps, le cerveau n’a pas fini de livrer tous ses secrets, malgré le perfectionnement constant des méthodes utilisées en neurobiologie. Le meilleur moyen d’étudier le cerveau reste encore d’en produire des modélisations à partir d’observations in situ. Une équipe de biologistes a franchi une nouvelle étape en imageant pour la première fois le cerveau d’une drosophile avec suffisamment de détails pour pouvoir y discerner neurones et synapses.
La prouesse est due à une équipe américaine de neurobiologistes qui a utilisé un microscope électronique afin d’observer le cerveau de la drosophile Drosophila Melanogaster et d’y discerner les jonctions neuronales, c’est-à-dire les synapses. C’est la première fois, en neurobiologie, que des scientifiques obtiennent une image aussi détaillée d’un cerveau.
Les images obtenues ont été intégrées à une base de données qui permettra aux chercheurs de cartographier les circuits neuronaux sous-tendant chaque mouvement et stratégie de la drosophile. Les résultats ont été publiés dans le journal Cell.
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Ils ont tracé le cheminement d’une pensée à travers le cerveau
« Cet ensemble de données — et les opportunités qui en découlent — représente certainement l’un des événements les plus importants qui se sont produits récemment en neurobiologie » explique Rachel Wilson, neurobiologiste à l’université d’Harvard. « N’importe qui à travers le monde étant intéressé par l’étude du cerveau peut accéder à la base de données et y télécharger les images pour mener ses propres études ».
Comparés aux 100 milliards de neurones du cerveau humain, les 100’000 neurones de la drosophile peuvent paraître simplistes. Mais comme l’explique David Bock, neurobiologiste à l’Institut Médical Howard Hughes, « cette mouche est bien plus qu’une chose ennuyante que l’on chasse d’un revers de la main lorsqu’on dîne. Certains systèmes dans le cerveau de la drosophile — comme ceux responsables de la détection et mémoire des odeurs — partagent des principes communs avec le cerveau humain ».
Afin de réaliser cette image ultra-détaillée, Bock et ses collègues ont utilisé un microscope électronique ; ces microscopes possèdent un pouvoir de résolution bien plus grand que les microscopes optiques et peuvent atteindre un grossissement allant jusqu’à 5 millions de fois. Ils ont trempé le cerveau de drosophile dans une solution contenant des métaux lourds se liant aux membranes des neurones et aux protéines synaptiques.
Ensuite, une lame de diamant a découpé le cerveau en 7000 tranches extrêmement fines, chacune étant balayée par le faisceau électronique du microscope pour recréer une image complète.
La méthode a requis une caméra pouvant capturer 100 images par seconde, un système robotisé permettant de placer au bon endroit chaque tranche du cerveau avec une précision nanométrique, et un logiciel pour combiner les 21 millions d’images produites. Le résultat est une reconstruction dont les détails autorisent les chercheurs à zoomer individuellement dans la structure de chaque synapse.
« Cette étude est la définition absolue d’un tour de force en termes de prouesse technique » révèle Cornelia Bargmann, neurobiologiste à l’université Rockefeller, dont le travail porte sur le système nerveux du nématode Caenorhabditis elegans, dont un connectome (carte des différentes connexions synaptiques) de 302 neurones a été publié en 1986. Pour obtenir un « diagramme de câblage » similaire avec la drosophile, les scientifiques devront utiliser les images capturées pour établir le chemin employé par chaque neurone.
Actuellement, Bock et son équipe ont établi un connectome préliminaire concernant des neurones impliqués dans la zone du cerveau responsable de l’apprentissage et de la mémorisation des odeurs, appelée « corpora pedunculata ». Les données ainsi acquises sur le système olfactif de la drosophile ont apporté de nouveaux détails aux biologistes, notamment l’inattendue structure en faisceaux serrés des neurones relayant les informations sensorielles dans les corpora pedunculata.
Mais la prouesse technique réalisée dans cette étude suggère qu’il sera bientôt possible d’établir le connectome d’espèces plus évoluées et proches de l’humain. « Au regard de ce qu’ils ont fait avec la mouche, le poisson-zèbre est du même ordre de complexité. Je pense que nous pourrions bientôt arriver aux vertébrés » conclut Bargmann.