Grâce aux données collectées par le Low Frequency Array (LOFAR) — un réseau de plus de 70 000 antennes réparties dans plusieurs pays européens, constituant le plus grand radiotélescope du monde — une équipe internationale d’astronomes vient de publier des images de galaxies avec un niveau de détail sans précédent. Ce travail de près d’une décennie a permis de révéler des phénomènes spatiaux impossibles à détecter avec des télescopes optiques.
Le réseau LOFAR est géré par ASTRON, l’Institut néerlandais de radioastronomie. Le réseau capture des images à des fréquences radio FM — comprises entre 88 et 108 MHz — qui contrairement aux sources de longueurs d’onde plus courtes comme la lumière visible, ne sont pas bloquées par les nuages de poussière et de gaz qui peuvent entourer certains objets d’observation. Ainsi, des régions de l’espace qui apparaissent sombres dans le visible brillent intensément dans les ondes radio.
Le travail réalisé par cette équipe d’astronomes, dirigée par le Dr Leah Morabito de l’Université de Durham, a permis de révéler de nouveaux détails sur le fonctionnement des galaxies lointaines et des trous noirs supermassifs, examinés à une résolution 20 fois supérieure à celle des images LOFAR standards — où seules les données provenant des antennes situées aux Pays-Bas sont utilisées. Cette fois-ci, l’équipe a exploité toutes les antennes du réseau, créant un télescope « virtuel » doté d’une pseudo lentille de près de 2000 kilomètres de diamètre !
Une résolution multipliée par 20 nécessitant des supercalculateurs
Contrairement aux antennes réseau conventionnelles, qui combinent plusieurs signaux en temps réel pour produire des images, LOFAR repose sur une nouvelle approche où les signaux collectés par chaque antenne sont numérisés, transportés vers le processeur central, puis combinés pour créer une image. Chaque image résulte ainsi de la combinaison des signaux de plus de 70 000 antennes, d’où l’extraordinaire résolution obtenue. Mais surtout, cette haute résolution a pu être combinée à un large champ de vision. « C’est totalement unique. Cela nous permettra d’étudier l’ensemble du ciel boréal en quelques années seulement », souligne Morabito, ajoutant que les télescopes de résolution comparable possèdent un champ de vision environ 20 fois plus petit. Selon la spécialiste, près de 3000 observations seront nécessaires pour imager l’ensemble du ciel boréal.
Ceci nécessite évidemment une énorme puissance de calcul : plus de 13 térabits de données brutes par seconde — soit l’équivalent de plus de 300 DVD — doivent être numérisés puis combinés pour produire une seule image ! Pour traiter un tel volume de données, l’équipe a donc dû exploiter des superordinateurs. « Ceux-ci nous permettent de transformer les téraoctets d’informations de ces antennes en quelques gigaoctets de données prêtes pour la science, en quelques jours seulement », précise Frits Sweijen, de l’Université de Leiden.
Les découvertes réalisées grâce à cette approche font l’objet d’un numéro spécial de la revue Astronomy & Astrophysics. L’équipe a orienté ses recherches sur les trous noirs supermassifs qui se trouvent au cœur des galaxies, car ils comptent parmi les sources d’ondes radio les plus puissantes de l’Univers. « Ces images haute résolution nous permettent de zoomer pour voir ce qui se passe réellement lorsque des trous noirs supermassifs lancent des jets radio, ce qui n’était pas possible auparavant à des fréquences proches de la bande radio FM », explique Le Dr Neal Jackson de l’Université de Manchester.
Une base de travail pour toute la communauté d’astronomes
Parmi ces images inédites, on peut observer un trou noir supermassif tirant des jets de gaz, au cœur de la galaxie Hercules A ; les observations à haute résolution ont révélé que « ces jets deviennent plus forts et plus faibles tous les quelques centaines de milliers d’années », peut-on lire dans le communiqué d’ASTRON. Cette intensité variable serait à l’origine des structures spécifiques visibles dans les deux lobes situés de part et d’autre de cette galaxie, dont chacun est à peu près aussi grand que notre Voie lactée.
L’équipe est aussi parvenue à observer simultanément de très grands et anciens jets ainsi que de petits et « jeunes » jets provenant de la galaxie 3C293, ce qui leur a permis de trouver des preuves d’une courte interruption de leur activité. Les observations ont par ailleurs révélé la structure d’une galaxie lointaine, auparavant masquée en partie par la présence d’un amas massif de galaxies situé devant elle. Les chercheurs ont également pu observer un vent de la taille d’une galaxie s’échappant d’une gigantesque fabrique d’étoiles, dans un noyau recouvert de poussière, généré par la fusion de deux galaxies.
Compte tenu de sa sensibilité, de son large champ de vision et de sa résolution, le télescope LOFAR est véritablement unique ; ses données constituent aujourd’hui la plus grande collection de données astronomiques du monde. Le travail réalisé par les astronomes permet non seulement de démêler certains des mystères qui entourent les trous noirs, mais constitue également une précieuse base de données que les astronomes du monde entier pourront exploiter pour réaliser leurs propres images. « Notre objectif est que cela permette à la communauté scientifique d’utiliser l’ensemble du réseau européen de télescopes LOFAR pour sa propre science, sans avoir à passer des années à devenir un expert », précise le Dr Leah Morabito dans le communiqué.