Le glacier Thwaites est situé sur la côte ouest de l’Antarctique, l’une des zones qui se réchauffent le plus rapidement sur Terre. Ce glacier, qui s’écoule progressivement dans la mer d’Amundsen, a perdu près de 600 milliards de tonnes de glace depuis les années 1980, contribuant à lui seul à 4% de l’élévation mondiale du niveau de la mer. Les spécialistes pensaient jusqu’à présent que cette fonte accélérée était due au changement climatique et à la présence de canaux d’eau chaude sous le glacier. Mais il se trouve que la géothermie contribue elle aussi largement au phénomène.
Des chercheurs allemands et britanniques ont entrepris de cartographier le flux de chaleur géothermique de l’Antarctique occidental ; c’est ainsi qu’ils ont identifié un nouveau point faible pouvant menacer la stabilité de la calotte glaciaire. Il se trouve que le glacier Thwaites se situe dans une tranchée tectonique, où la croûte terrestre est beaucoup plus mince qu’elle ne l’est ailleurs sur le continent, notamment dans l’Antarctique oriental. À certains endroits, la croûte ne fait que 17 à 25 km d’épaisseur !
Conséquence : cette croûte relativement mince absorbe beaucoup plus de chaleur issue du manteau supérieur de la Terre, d’une température de 200°C en moyenne. « Nos mesures montrent que là où la croûte terrestre n’a que 17 à 25 kilomètres d’épaisseur, un flux de chaleur géothermique pouvant atteindre 150 milliwatts par mètre carré peut se produire sous le glacier Thwaites. Cela correspond aux valeurs enregistrées dans les zones du fossé rhénan et du rift est africain », explique le Dr Ricarda Dziadek, géophysicien de l’Alfred Wegener Institute et premier auteur de l’étude.
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Une région parsemée de failles tectoniques
Le glacier Thwaites couvre environ 192 000 kilomètres carrés — soit à peu près la superficie de la Grande-Bretagne — et est particulièrement sensible aux changements climatiques et océaniques. Au cours des 30 dernières années, le taux global de perte de glace de Thwaites et des glaciers voisins a plus que quintuplé.
Contrairement à l’Antarctique oriental, l’Antarctique occidental est une région géologiquement jeune. De plus, il ne s’agit pas d’une grande masse continentale contiguë, où la croûte terrestre a jusqu’à 40 kilomètres d’épaisseur, mais plutôt de plusieurs petits blocs crustaux, pour la plupart relativement minces, séparés les uns des autres par un système dit « de tranchées » ou « de failles ». L’existence de ces tranchées a conduit les chercheurs à supposer que des quantités plus ou moins importantes de chaleur issue de l’intérieur de la Terre montaient à la surface au niveau de ces points remarquables.
Une équipe d’experts de l’Alfred Wegener Institute Helmholtz Centre for Polar and Marine Research et du British Antarctic Survey a analysé les données du champ géomagnétique de l’Antarctique occidental, afin d’établir une nouvelle carte du flux de chaleur géothermique de la région. « La déduction du flux de chaleur géothermique à partir des données du champ magnétique est une méthode éprouvée, principalement utilisée dans les régions où l’on connaît peu les caractéristiques du sous-sol géologique », explique Fausto Ferraccioli du British Antarctic Survey et co-auteur de l’étude. Les résultats ont confirmé leur hypothèse : le glacier Thwaites repose sur une zone de flux de chaleur relativement élevé ; c’est également le cas pour les glaciers de l’île du Pin, Pope et l’ensemble des glaciers de l’inlandsis Ouest-Antarctique.
Un facteur crucial pour prédire l’évolution du glacier
Sur la base de leurs données, les chercheurs ne peuvent chiffrer précisément dans quelle mesure la chaleur géothermique croissante réchauffe le fond du glacier, car le sol est constitué de différents types de roches, plus ou moins conductrices de chaleur. Le Dr Karsten Gohl, co-auteur de l’étude, explique par exemple que la température sous le glacier ne sera pas la même si le sol est constitué de roches compactes et solides que s’il est composé de plusieurs mètres de sédiments saturés d’eau — car l’eau conduit très efficacement la chaleur montante.
S’il n’est pas possible de dire avec précision à quel point le glacier est chaud, le phénomène doit dès à présent être pris en compte dans les futurs modèles dynamiques d’écoulement glaciaire. La géothermie pourrait en effet avoir des effets dévastateurs : de par les grandes quantités de chaleur dégagées, le fond du lit du glacier pourrait ne plus geler complètement ou pourrait être recouvert en permanence d’un film d’eau. « Dans les deux cas, les masses de glace glisseraient plus facilement sur le sol », souligne Gohl, ce qui accélérerait considérablement la fonte des glaciers.
Si le glacier Thwaites venait à disparaître complètement, le niveau de la mer s’élèverait d’environ 65 centimètres, menaçant les populations côtières du monde entier. En outre, ce glacier agissant un peu comme un rempart — à la manière d’un bouchon sur une bouteille couchée — sa disparition pourrait accélérer la fonte de toute la région de façon spectaculaire, entraînant une élévation sans précédent du niveau de la mer.
Un important projet de recherche international est en cours au pôle Sud, impliquant des missions de forage de carottes de glace qui s’étendent jusqu’au fond du glacier Thwaites. À partir de ces carottes, les scientifiques seront en mesure d’estimer plus précisément le flux thermique et ainsi déterminer combien de temps il reste avant que la glace ne disparaisse complètement.