Une start-up australienne présente des accélérateurs quantiques de la taille d’un rack de 48 centimètres, capables de fonctionner à température ambiante. En d’autres termes, vous pourriez bénéficier chez vous d’une puissance de calcul hors norme, sans pour autant investir dans un système de cryogénie. La société affirme même que son dispositif sera bientôt assez réduit pour être intégré à des appareils mobiles.
Les ordinateurs quantiques reposant sur des supraconducteurs sont très « fragiles ». En effet, l’intrication des états quantiques des qubits est particulièrement sensible à l’environnement ; la moindre perturbation électromagnétique pourrait affecter l’état de superposition des qubits et conduire à des erreurs de calcul. Ainsi, ces systèmes sont généralement protégés, confinés dans des chambres à vide, et plongés dans des températures proches du zéro absolu pour limiter les vibrations de particules.
Ceci nécessite évidemment des équipements de refroidissement complexes et coûteux. Des conditions qui ne destinent pas vraiment l’informatique quantique à un usage généralisé, portable et facilement évolutif… Mais la société Quantum Brilliance affirme avoir développé un microprocesseur quantique capable de fonctionner dans des conditions tout à fait normales. Aujourd’hui de la taille d’un rack de 19 pouces (48 centimètres), ces concepteurs estiment qu’il pourrait même être réduit à l’équivalent d’une carte graphique.
Un processeur qui repose sur un défaut ponctuel du diamant
Quantum Brilliance a été fondée en 2019 à la suite de recherches menées par ses fondateurs à l’Université nationale australienne, où ils ont développé des techniques pour fabriquer, mettre à l’échelle et contrôler des qubits intégrés dans du diamant synthétique. À savoir que le diamant synthétique est capable de maintenir l’état de superposition tant recherché, c’est pourquoi il fait partie des pistes explorées dans le cadre du développement de l’informatique quantique.
Le principe est le suivant : un diamant pur est constitué d’atomes de carbone identiques, répartis dans une structure en maille régulière. Lorsqu’il manque un noyau de carbone dans la structure et qu’un atome d’azote vient occuper la place adjacente à cette lacune au sein de la maille (ce qui est un défaut ponctuel courant), on appelle cela « le centre azote-lacune » (ou centre NV). Or, il est possible de contrôler le spin de ce centre NV (à l’aide d’un champ magnétique, électrique ou d’un rayonnement micro-ondes ou visible) ; il peut alors s’orienter vers le haut, le bas ou adopter une superposition quantique des deux états.
Les ordinateurs quantiques à diamant fonctionnant à température ambiante se composent d’un ensemble de nœuds de processeur. Chacun de ces nœuds est composé d’un centre NV et d’un groupe de spins nucléaires : le spin nucléaire intrinsèque de l’azote et jusqu’à environ 4 impuretés de spin nucléaire 13C proches. Ces spins nucléaires agissent comme les qubits de l’ordinateur, tandis que les centres NV agissent comme des bus quantiques qui servent de médiateurs pour l’initialisation et la lecture des qubits, ainsi que pour les opérations multi-qubits intra et inter-nœuds. Dès lors, le calcul quantique est contrôlé par des champs radiofréquences, micro-ondes, optiques et magnétiques, explique Marcus Doherty, Directeur scientifique chez Quantum Brilliance.
Les spins nucléaires sont donc la clé de ce nouvel accélérateur quantique : « Un atome se soucie beaucoup moins des vibrations thermiques, par exemple, qu’un électron, de sorte que nous pouvons les faire fonctionner à température ambiante », précise Mark Mattingley-Scott, chargé de superviser les opérations de la société en Allemagne.
Vers « l’utilité quantique » plus que la suprématie
Cela fait plusieurs années que les scientifiques développent et expérimentent des qubits quantiques à température ambiante. Mais Quantum Brilliance a trouvé le moyen de fabriquer ces qubits de manière précise et reproductible, et d’intégrer les structures de contrôle nécessaires pour exploiter les données portées par ces qubits. « J’avais l’œil sur ce qui se passait avec les diamants, car si vous pouvez supprimer l’obligation de refroidir votre ordinateur par cryogénie, la proposition de valeur s’en trouve complètement modifiée », relate Mattingley-Scott, qui travaillait chez IBM avant de rejoindre la start-up.
En matière de performances, le système de Quantum Brilliance dépasse largement les ordinateurs quantiques supraconducteurs traditionnels : alors que les qubits supraconducteurs conservent généralement leur cohérence pendant 100 à 150 microsecondes, cette durée se mesure en millisecondes dans les diamants à température ambiante, soit mille fois plus longtemps ! Ce qui permet d’effectuer encore plus de calculs. De même, les taux d’erreur obtenus sont « très très bons » selon les dirigeants.
La société a déjà construit un certain nombre de « kits de développement quantique » dans des unités d’environ 5 qubits, qui sont actuellement en test chez un certain nombre de clients. Et les responsables de Quantum Brilliance prévoient de lancer un accélérateur quantique d’environ 50 qubits, vers 2025. « Nous pensons que d’ici dix ans, nous pourrons même produire un système quantique sur puce pour les appareils mobiles », explique Mark Luo, Directeur des opérations de l’entreprise. Dès le premier trimestre 2022, la société va installer le premier système de calcul quantique en diamant à température ambiante au Pawsey Supercomupting Center, qui est actuellement le plus grand centre de supercalcul de l’hémisphère sud.
Atteindre la fameuse suprématie quantique n’est pas l’objectif premier de l’équipe, qui préfère se concentrer sur le développement d’un ordinateur quantique plus performant qu’un ordinateur traditionnel qui puisse avoir une réelle utilité commerciale. « Nous avons une feuille de route claire sur cinq ans pour produire quelque chose que nous appelons l’utilité quantique », explique Luo. La vision de Quantum Brilliance est de produire des qubits facilement intégrables à n’importe quel ordinateur, à l’instar de tout autre composant informatique. « Je ne peux pas vous donner de dates exactes, mais c’est vers cela que nous nous dirigeons, vers une activité de volume de type industrialisé », conclut Mattingley-Scott.