La toxine botulique, plus couramment appelée Botox, est utilisée à très faibles doses en cosmétique pour ses propriétés neurotoxiques, qui entraînent des paralysies musculaires ; quelques injections ciblées au niveau du visage permettent ainsi d’atténuer temporairement les rides. Mais selon une nouvelle étude, les effets ne s’arrêtent pas là : ces injections pourraient moduler l’activité cérébrale liée aux émotions.
La toxine botulique est une protéine neurotoxique produite par la bactérie Clostridium botulinum, responsable du botulisme, une grave maladie paralytique. C’est l’un des poisons les plus puissants connus à ce jour ; il entraîne une paralysie en inhibant la libération d’acétylcholine au niveau des terminaisons nerveuses motrices. On en distingue huit types différents, la toxine de type A étant la plus active ; c’est celle qui est utilisée — à très faibles doses — à des fins thérapeutiques et cosmétiques, où elle s’avère relativement sûre et efficace.
Les injections de Botox dans les muscles situés sous les rides du visage provoquent leur relaxation et donc un lissage de la peau sus-jacente. Cette intervention fait disparaître les signes de l’âge… mais aussi une grande partie de l’expression faciale, qui constitue un aspect majeur de la communication non verbale. Or, selon « l’hypothèse de la rétroaction faciale », nos émotions seraient largement influencées par les expressions faciales. Par conséquent, les injections de Botox modifieraient-elles notre manière d’identifier et de traiter les émotions ? Une équipe de l’Université de Californie, à Irvine, s’est penchée sur la question.
Un « jeu de mime » qui influence nos émotions
L’hypothèse de la rétroaction faciale suppose que la mémoire musculaire du visage interagit avec les régions émotionnelles du cerveau, en particulier l’amygdale, et que cette interaction est bidirectionnelle. Elle suggère ainsi que lorsque nous contractons ou relâchons les muscles concernés pour créer une expression émotionnelle particulière (par exemple, la joie ou la colère), cela peut aider à identifier et à ressentir l’émotion en question — et ce, même en l’absence d’un autre visage comme stimulus.
Des études antérieures ont montré que des injections de Botox au niveau des muscles glabellaires — qui sont situés entre les sourcils, là où apparaît la ride du lion — peuvent atténuer les symptômes des troubles dépressifs majeurs. Ce phénomène s’expliquerait par l’hypothèse de la rétroaction faciale : les injections glabellaires paralysent les muscles corrugator supercilii et procerus, qui sont des muscles clés dans l’expression des émotions négatives, et interrompent ainsi la boucle de rétroaction qui maintiendrait et renforcerait ces émotions.
L’objectif de cette nouvelle étude était de mieux comprendre l’effet de la toxine botulique de type A (onabotA) sur l’activité fonctionnelle dans le cerveau pendant le traitement des émotions faciales. L’équipe a tout d’abord vérifié l’hypothèse selon laquelle les injections modifieraient l’activité liée aux émotions dans l’amygdale, puis a étendu ce travail en évaluant les régions situées en dehors de l’amygdale, afin de déterminer si la toxine modifie le traitement des visages dans le cadre du mécanisme de rétroaction faciale.
Pour ce faire, les chercheurs ont recruté dix femmes en bonne santé, âgées de 33 à 40 ans, n’ayant jamais eu d’injection de Botox. Elles ont regardé des images de visages heureux et en colère au cours de deux sessions d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : l’une 4 à 14 jours avant de recevoir des injections, la seconde 2 à 3 semaines après les injections. Ces injections visaient à empêcher le froncement des sourcils et à réduire la création d’expressions souriantes ou heureuses.
Pour chaque visage présenté, les participantes devaient indiquer s’il leur était agréable ou désagréable. Parallèlement, les chercheurs observaient comment le cerveau réagissait à la vue de ces visages expressifs.
Des changements observés au niveau de l’amygdale et du gyrus fusiforme
Comme attendu, les visages heureux étaient jugés plus agréables que les visages en colère, à une quasi-unanimité ; les injections de Botox n’ont rien changé aux résultats de cette tâche d’évaluation émotionnelle. En revanche, l’équipe a observé plusieurs changements au niveau de l’activité cérébrale. « Nous avons constaté une modulation de l’activité dans l’amygdale avant et après l’injection d’onabotA pour les visages heureux et les visages en colère, ainsi qu’une modulation de l’activité dans le gyrus fusiforme pour les visages heureux », rapportent les auteurs de l’étude.
Plus précisément, les chercheurs ont constaté une augmentation de l’activité de l’amygdale pour les visages heureux et en colère après les injections, ce qui suggère que le blocage de l’activité motrice de la région glabellaire affecte ces deux émotions de la même façon ; l’effet était toutefois plus prononcé dans le cas des visages heureux. « Ce changement net de l’expression faciale peut réduire l’expérience interne des émotions négatives et favoriser les émotions positives », soulignent-ils.
De même, suite aux injections, ils ont observé une modulation de l’activité dans le gyrus fusiforme droit — une zone cérébrale très impliquée dans la reconnaissance faciale. Cette modulation n’est toutefois apparue que dans le cas des visages heureux. Ces changements d’activité de l’amygdale et du gyrus fusiforme par le Botox peuvent refléter « des processus compensatoires » dans le traitement émotionnel, qui sont engagés lorsque la rétroaction faciale est altérée.
En temps normal, à la vue de visages heureux ou en colère, nous avons tendance à les imiter inconsciemment pour mieux reconnaître ces émotions ; concrètement, les muscles de notre visage imitent le froncement de sourcils ou le sourire de notre interlocuteur, puis envoient des signaux au cerveau, qui interprète ces émotions. Mais cette étude montre que le Botox, en bloquant les mouvements musculaires, perturbe cette voie de communication entre le visage, l’amygdale et le gyrus fusiforme. Conséquence : on ne ressent plus les émotions d’autrui de la même façon.
Les chercheurs notent que d’autres études devraient être menées, impliquant un plus grand nombre de participants, mais aussi davantage d’émotions, pour explorer plus avant les réponses cérébrales. En attendant, ces résultats contribuent à une littérature croissante suggérant que l’inhibition de la contraction des muscles glabellaires modifie l’activité neuronale pour le traitement émotionnel.