Le nombre croissant de personnes de moins de 50 ans présentant des tumeurs devient alarmant. Cette incidence est particulièrement préoccupante pour le cancer colorectal. Les scientifiques soupçonnent certains aspects de la vie moderne, tels que l’alimentation et l’exposition à la pollution, comme étant les principaux facteurs de cette augmentation.
L’âge est considéré comme étant l’un des principaux facteurs de risque de cancer, cause de décès majeure dans le monde chez les personnes âgées de 60 à 79 ans. La grande majorité des cas (9 sur 10) concerne les plus de 50 ans. Le vieillissement s’accompagne en effet d’un remodelage tissulaire généralisé, au cours duquel de nombreuses anomalies biomoléculaires ont une forte tendance à apparaître et à s’accumuler. Ces altérations peuvent être épigénétiques, ou découler de mutations somatiques dues à l’instabilité du génome et d’un dysfonctionnement mitochondrial.
Cependant, la manière précise dont le vieillissement augmente le risque d’apparition du cancer au niveau de différents organes n’est pas claire. D’après le consortium du Cancer Grand Challenges, « aucun processus cellulaire unique associé à un soma vieillissant n’explique suffisamment le risque de cancer dans tous les tissus ». De plus, le nombre de personnes de moins de 50 ans atteintes de cancer n’a cessé d’augmenter au cours des trois dernières décennies, au niveau mondial.
Une épidémie mondiale émergente
Pour la majorité des types de cancer, l’augmentation des cas chez les moins de 50 ans est relativement modeste, avec un taux de 22% entre 1993 et 2018 au Royaume-Uni. Cependant, cette augmentation est constante pour de nombreuses formes de cancer, sans compter qu’elle concerne autant les pays à revenu élevé que ceux à revenus faible et intermédiaire. En vue de cette tendance, des experts estiment qu’il pourrait s’agir d’une épidémie mondiale émergente. « Je pense que la tendance ne s’arrêtera pas de sitôt et qu’elle pourrait s’accélérer », affirme Shuji Ogino de la Harvard Medical School, auteur principal d’une étude épidémiologique menée avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La plus forte augmentation est observée pour le cancer colorectal d’apparition précoce (EOCRC), selon une nouvelle étude récemment publiée dans la revue Science et menée par une équipe de la Harvard Medical School. L’incidence de cette forme de cancer augmente rapidement au niveau mondial (2 à 4% par an) et est en phase de devenir, aux États-Unis, la principale cause de décès par cancer chez les 20 à 49 ans d’ici 2030. Dans 20 pays européens, cette croissance est de 2% par an chez les quarantenaires, de 5% chez les trentenaires et de 8% chez les jeunes adultes (dans la vingtaine).
Par ailleurs, certaines formes de cancer (de l’intestin, du sein et de la prostate) semblent être plus agressives chez les moins de 50 ans. Cette agressivité serait probablement due au fait que les tumeurs peuvent présenter des mutations génétiques inhabituelles chez les jeunes, et sont de ce fait plus difficiles à traiter. De façon étonnante et parallèlement, une réduction globale des cas de cancer colorectal est observée chez les personnes âgées. Cette diminution serait associée à l’amélioration des stratégies de dépistage et de prévention.
Une augmentation multifactorielle
L’incidence du cancer étant généralement liée à l’âge, les scientifiques estiment que son augmentation chez les jeunes est liée à des facteurs environnementaux. L’un d’eux serait notre alimentation, la plus forte augmentation étant observée pour les cancers du tube digestif. De plus, certaines habitudes alimentaires sont couramment associées à des risques pathologiques graves, telles que la consommation excessive d’aliments transformés. L’augmentation de l’apparition de certaines maladies telles que l’obésité et le diabète pourrait aussi être en cause. L’exposition dès l’enfance à certaines substances comme les antibiotiques et la pollution environnementale pourraient également augmenter le risque de cancer.
Toutefois, l’alimentation, l’obésité, la pollution et le manque d’activité physique n’expliqueraient qu’en partie cette augmentation. D’autres facteurs doivent ainsi être considérés, tels que les lacunes en matière de dépistage et de prévention. En effet, dans de nombreux pays, le dépistage du cancer n’est proposé qu’à partir de 50 ans, selon le type de tumeur. Les jeunes pouvant souffrir d’un cancer ont ainsi beaucoup moins de chances de se faire diagnostiquer, sans compter leur tendance à minimiser les symptômes. D’après les chercheurs de Harvard, les patients de moins 50 ans mettraient 40% plus de temps à recevoir un diagnostic que ceux plus âgés. Ainsi, il ne serait pas exclu que l’apparente agressivité du cancer chez les jeunes puisse en partie découler d’un diagnostic tardif.
Les disparités sociales, notamment l’inégalité d’accès aux soins, pourraient également influencer l’incidence du cancer. Les Autochtones d’Alaska présentent par exemple les taux de cancer colorectal les plus élevés au monde. Cette augmentation serait encore plus flagrante au niveau des communautés afro-américaines, avec un taux de mortalité par cancer 44% plus élevé que celui observé chez les communautés caucasiennes. Ce taux serait associé au manque d’accès à certains besoins alimentaires et aux mutuelles de santé.
Cette forte incidence est d’autant plus élevée au niveau des pays à faible revenu, où l’indice démographique est généralement très jeune. « Si vous comparez une carte de la pauvreté avec une carte de la mortalité due au cancer colorectal par région, vous constaterez qu’elles sont étonnamment similaires », déclare Rebecca Siegel, l’auteure principale d’une étude du même sujet et directrice de recherche à l’American cancer society. Il est important de considérer que dans de nombreux pays, le coût d’un bilan de santé ou d’une coloscopie est très élevé, par rapport au revenu moyen par habitant.