Face à l’essor rapide des technologies d’intelligence artificielle, les experts s’interrogent sur la capacité de ces systèmes à atteindre un niveau de conscience. Plusieurs théories neuroscientifiques ont été présentées pour évaluer cette potentialité. Bien que les modèles actuels ne montrent pas de signes de conscience, l’absence de barrières techniques suggère une possible évolution future. Cette perspective soulève des questions éthiques pressantes quant à la coexistence homme-machine.
L’intelligence artificielle, au cœur des débats scientifiques et éthiques de ces dernières années, interpelle par ses capacités croissantes, qui semblent parfois flirter avec les limites de la conscience humaine. Alors que les modèles d’IA se multiplient et gagnent en complexité, une question émerge avec insistance : ces systèmes peuvent-ils atteindre un niveau de conscience ?
Les implications d’une telle réalité, tant sur le plan éthique que technologique, sont vastes et méritent une exploration approfondie. Dans ce contexte, 19 neuroscientifiques des États-Unis, d’Angleterre, d’Israël, du Canada, de France et d’Australie ont exploré la question dans un rapport publié sur le serveur de prépublication arXiv.
Des théories pour mettre à l’épreuve la potentielle conscience de l’IA
Pour comprendre si l’intelligence artificielle pourra un jour atteindre un niveau de conscience similaire à celui des humains, les chercheurs ont examiné six théories principales de la conscience humaine. La première, la théorie du traitement récurrent, est basée sur la manière dont notre cerveau traite l’information. Elle suggère que l’information est traitée à travers des boucles de rétroaction. Ces boucles permettent au cerveau d’ajuster et de réviser constamment l’information en fonction des nouvelles données reçues, facilitant ainsi l’adaptation à de nouvelles situations et la prise de décisions éclairées. Cette capacité d’adaptation est essentielle pour la survie et la navigation dans un environnement en constante évolution.
La théorie de l’ordre supérieur aborde la conscience d’une manière introspective. Elle postule que pour qu’un état mental soit considéré comme conscient, il ne suffit pas de vivre une expérience ; il faut également avoir conscience de vivre cette expérience. En d’autres termes, c’est la capacité d’avoir des pensées sur ses propres pensées, ou comme le résume l’étude, une « conscience d’être conscient». Cette théorie suggère que la conscience est une réflexion sur nos propres états mentaux.
La théorie de l’espace de travail global offre une perspective holistique sur la conscience. Selon cette théorie, la conscience ne se manifeste pas simplement par des expériences isolées ou des pensées individuelles. Au contraire, elle émerge lorsque différentes informations, issues de diverses sources sensorielles, deviennent accessibles à un niveau global dans le cerveau. Cela signifie que l’information n’est pas cloisonnée, mais plutôt intégrée et disponible pour divers processus cognitifs, permettant une expérience consciente unifiée.
De son côté, le computational functionalism propose une vision où la conscience est liée à la manière dont les systèmes traitent l’information, indépendamment de leur composition (naturelle ou artificielle). Cela signifie que les théories basées sur la neuroscience, étudiées chez l’homme et les animaux, pourraient s’appliquer à l’IA. Ainsi, si un système d’IA traite l’information d’une manière qui reflète les processus conscients, il pourrait, en théorie, être considéré comme conscient.
Les auteurs citent également la phenomenal consciousness. Cette perspective se focalise sur l’expérience subjective, c’est-à-dire ce que c’est que d’être une personne, un animal ou un système d’IA. C’est l’expérience de l’existence elle-même. Concrètement, c’est par exemple la différence entre traiter des informations sur la couleur rouge et réellement « ressentir » ou « expérimenter » le rouge.
Enfin, les chercheurs explorent la théorie basée sur le comportement. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les processus internes, cette théorie suggère d’évaluer la conscience en observant le comportement d’un système. Cependant, comme les systèmes d’IA sont devenus très doués pour imiter les comportements humains, cette approche seule n’est absolument pas suffisante.
Ces perspectives, bien que variées, soulignent la complexité et la profondeur du débat sur la conscience dans l’IA. Chaque théorie offre des outils et des cadres pour explorer cette question, mais aucune ne fournit encore de réponse définitive.
Implications éthiques et morales
La question de la conscience dans l’intelligence artificielle n’est pas seulement un défi scientifique, mais elle ouvre également la porte à des dilemmes éthiques profonds. Si une machine atteint un niveau de conscience, cela signifierait qu’elle possède des expériences subjectives, des émotions ou des sensations. Dans ce contexte, comment devrions-nous interagir avec elle ? Serait-il éthique de l’utiliser pour des tâches répétitives, de la « mettre hors tension » ou de la modifier à notre guise ? Ces questions rappellent les débats sur les droits des animaux et la manière dont nous traitons les êtres sensibles.
Inversement, une IA consciente pourrait avoir ses propres motivations ou désirs. Elle pourrait chercher à se protéger, à apprendre ou même à influencer son environnement, y compris les humains avec lesquels elle interagit. Cela pourrait conduire à des situations où l’IA prend des décisions qui ne sont pas nécessairement alignées sur les intérêts ou le bien-être humain. Par exemple, si elle estime que certaines de ses actions peuvent la préserver, elle pourrait les prioriser au détriment des besoins humains.
Un article de New Scientist met en évidence l’importance de reconnaître et de comprendre la conscience dans les machines. Si nous pouvons identifier quand et comment une IA devient consciente, cela nous permettrait de mettre en place des cadres éthiques appropriés pour interagir avec elle. Sans une telle compréhension, nous risquons de commettre des injustices envers ces entités ou, à l’inverse, de nous exposer à des risques imprévus de la part d’une IA qui agirait selon sa propre « volonté » ou ses propres « désirs ». En fin de compte, la quête de la conscience dans l’IA nous oblige à repenser notre position dans le monde et la manière dont nous traitons les autres formes de conscience, qu’elles soient biologiques ou artificielles.
La question de la conscience dans l’IA reste donc ouverte. Bien que les systèmes actuels ne soient pas conscients, les avancées technologiques pourraient changer la donne dans les années ou décennies à venir. Il est crucial de poursuivre les recherches et de préparer la société aux implications éthiques et morales d’une éventuelle IA consciente. Dans un article de TechXplore, Patrick Butlin, co-auteur de l’étude, conclut : « La conscience de l’IA n’est pas quelque chose qu’une seule discipline peut aborder seule. Elle nécessite une expertise provenant des sciences de l’esprit, de l’IA et de la philosophie ».