Une expérience inédite de physique quantique réfute une des théories d’Einstein

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Coupe partielle de la connexion quantique de 30 mètres de long entre deux circuits supraconducteurs. | ETH Zurich/ Daniel Winkler
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Albert Einstein, figure emblématique du développement de la théorie quantique, a néanmoins exprimé des réserves sur l’un de ses aspects les plus énigmatiques, l’intrication quantique. Cette corrélation exceptionnelle entre deux particules, indépendamment de leur distance respective, n’a jamais convaincu Einstein. Cependant, récemment, des chercheurs suisses ont fait une avancée significative, démontrant que des objets quantiques distants peuvent être liés beaucoup plus étroitement que ce qui est concevable dans les systèmes traditionnels. Le tout premier test de Bell « sans échappatoire », réalisé avec des circuits supraconducteurs, nous rapproche d’un pas de plus vers la conception d’ordinateurs quantiques viables.

Si Einstein est l’un des pionniers de la physique quantique, ayant démontré l’existence des atomes et découvert les quanta de lumière (les photons), il a toutefois exprimé des doutes sur les développements ultérieurs de cette nouvelle physique. Selon lui, la science devrait décrire fidèlement la réalité du monde physique, ce que la physique quantique, basée en grande partie sur les probabilités, ne fait pas toujours de manière tangible.

Sa contradiction est particulièrement marquée avec l’intrication quantique, une notion découlant de ces conjectures, qui stipule que deux particules sont intriquées lorsqu’elles partagent une histoire commune, comme lorsqu’elles sont issues du même atome. Cela implique que, quelle que soit la distance qui les sépare, elles continuent à agir en relation l’une avec l’autre de manière identique.

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Pour illustrer le paradoxe de l’intrication qui défie le principe de localité (selon lequel deux objets distants ne peuvent s’influencer l’un l’autre), Einstein a imaginé en 1935 une expérience de pensée connue sous le nom de paradoxe EPR. Partageant l’inconfort d’Einstein, John Stewart Bell a proposé en 1964 une sorte de « test » pour la théorie quantique, appelé inégalités de Bell. Si les résultats de l’expérience EPR respectaient ces inégalités, cela signifierait que la physique quantique est incomplète (avec des hypothèses et probabilités faibles), et que l’intrication quantique est purement illusoire.

Depuis lors, un grand nombre de scientifiques ont démontré que les inégalités de Bell sont violées, ce qui confirme que la physique quantique est une théorie à part entière. Cependant, plusieurs échappatoires ont été utilisées pour arriver à cette conclusion, c’est-à-dire que certaines hypothèses ont été posées. Donc, théoriquement, il se peut qu’Einstein ait eu raison d’être sceptique à l’égard de la mécanique quantique.

Récemment, une équipe de chercheurs dirigée par Andreas Wallraff, professeur à l’ETH Zurich, a réalisé un test de Bell sans échappatoire dans le but de réfuter de manière définitive le concept d’Einstein de « causalité locale ». En démontrant que des objets de mécanique quantique éloignés peuvent être beaucoup plus fortement corrélés entre eux que ce qui est possible dans les systèmes conventionnels, les chercheurs ont apporté une confirmation supplémentaire à la mécanique quantique.

L’aspect remarquable de cette expérience est que les chercheurs ont pu, pour la première fois, la réaliser à l’aide de circuits supraconducteurs, qui sont envisagés comme des candidats prometteurs pour la construction de puissants ordinateurs quantiques. Leurs travaux ont été publiés dans la revue prestigieuse Nature.

30 mètres de vide et des supraconducteurs pour mettre un terme à un vieux débat

Bell a proposé de réaliser une mesure aléatoire sur deux particules intriquées simultanément et de comparer le résultat à l’inégalité de Bell. Si le concept de causalité locale d’Einstein est valide, ces expériences devraient toujours satisfaire l’inégalité de Bell. En revanche, la mécanique quantique prédit qu’elles la violeraient.

Pour réaliser correctement le test de Bell sans échappatoire, les chercheurs doivent s’assurer qu’aucune information ne peut être échangée entre les deux circuits intriqués avant la fin des mesures quantiques. Par conséquent, la mesure doit être effectuée en moins de temps qu’il n’en faut à une particule de lumière (transmettant l’information) pour se déplacer d’un circuit à l’autre.

Ainsi, lors de la mise en place de l’expérience, il est crucial de trouver un équilibre : plus la distance entre les deux circuits supraconducteurs est grande, plus le temps disponible pour la mesure est long et plus le dispositif expérimental devient complexe. En effet, toute l’expérience doit être réalisée dans un vide proche du zéro absolu.

Dans un communiqué, les chercheurs de l’ETH expliquent qu’ils ont déterminé que la distance minimale pour effectuer leur expérience était de 33 mètres, car une particule de lumière nécessite environ 110 nanosecondes pour parcourir cette distance dans le vide.

L’équipe de Wallraff a donc construit une installation impressionnante : à chaque extrémité se trouve un cryostat contenant un circuit supraconducteur. Ces deux dispositifs de refroidissement sont reliés par un tube de 30 mètres de long, dont l’intérieur est refroidi à une température proche du zéro absolu (-273,15 °C), créant ainsi un vide parfait.

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Vue interne d’une section de la connexion quantique de 30 mètres de long. Un guide d’onde en aluminium (au centre), refroidi presque au zéro absolu, relie les deux circuits quantiques. Plusieurs couches de blindage en cuivre protègent le conducteur du rayonnement thermique. © ETH Zurich/ Daniel Winkler

Avant le début de chaque mesure, un photon est transmis d’un des deux circuits supraconducteurs à l’autre, enchevêtrant ainsi les deux circuits. Après avoir évalué plus d’un million de mesures sur les deux circuits, les chercheurs ont démontré avec une très grande certitude statistique que l’inégalité de Bell est violée dans cette configuration expérimentale, prouvant sans ambiguïté la réalité de l’intrication quantique.

Des applications concrètes

Simon Storz, doctorant dans le groupe de Wallraff, explique : « Les tests de Bell modifiés peuvent être utilisés en cryptographie, par exemple, pour démontrer que les informations sont effectivement transmises sous forme cryptée ».

L’expérience menée par les chercheurs de l’ETH confirme également que les circuits supraconducteurs fonctionnent selon les lois de la mécanique quantique, même s’ils sont beaucoup plus grands que les objets quantiques microscopiques tels que les photons ou les ions. Cela ouvre des possibilités d’applications intéressantes dans le domaine de l’informatique quantique distribuée, pour connecter des ordinateurs quantiques supraconducteurs sur de grandes distances.

Source : Nature

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