Beaucoup plus complexe que la solitude, avec laquelle on le confond souvent, l’isolement social peut impacter la santé mentale et devenir à la fois une cause et un symptôme de troubles psychologiques. Des recherches antérieures ont d’ailleurs montré que le sentiment d’appartenance à un groupe peut améliorer le bien-être général et augmenter le plaisir de vivre. Cependant, les mécanismes neurobiologiques régissant le phénomène d’isolement social, ou l’inverse (l’appartenance à un groupe) sont encore largement incompris. Une nouvelle étude offre une nouvelle piste en mettant en lumière, chez des personnes souffrant d’isolement social, des changements dans la structure du cerveau. Ces changements seraient surtout détectés au niveau des zones responsables de la cognition, et engendreraient un risque accru de démence.
Les mesures de confinement prises pour la lutte contre la pandémie de COVID-19 ont entraîné une aggravation du phénomène d’isolement social et de solitude. À savoir qu’il s’agit de deux notions complètement différentes, car l’une est caractérisée par l’absence d’interactions sociales, tandis que l’autre se traduit plutôt comme une émotion. À titre d’exemple, l’on peut quand même se sentir seul en étant entouré, quand l’on préfère la compagnie ou l’attention d’une personne en particulier par exemple.
Les personnes affectées par l’isolement social ont peu ou pas de contacts avec autrui. L’isolement social peut aussi être accompagné de solitude dans certains cas. De plus, la qualité des relations serait plus importante que la quantité. Ainsi, l’appartenance à de très larges groupes ne peut pas remplacer les interactions avec un petit groupe d’amis proches.
Les plus touchés par l’isolement social sont les personnes âgées, du fait qu’elles vivent souvent seules ou perdent petit à petit leurs amis. Toutefois, il faut noter que le phénomène est susceptible de toucher presque tout le monde, à la suite par exemple de chocs émotionnels. En France par exemple, il toucherait près de 14% de la population en 2020, contre 9% en 2010.
L’isolement social affecte la santé mentale, car le cerveau humain serait plus adapté à agir et évoluer en société, un comportement de groupe hérité des primates. Le cerveau dit « social » aurait évolué pour acquérir des réseaux neuronaux spécifiques pour la gestion d’interactions telles que la reconnaissance de l’autre en tant qu’interlocuteur, le traitement des informations échangées, leur gestion émotionnelle et le choix de réponses adaptées.
Ces zones neuronales seraient étroitement liées à celles qui régissent la cognition (le processus d’acquisition de connaissances), dont le réseau neuronal par défaut (actif lorsque l’on ne se concentre pas sur le monde extérieur), le réseau de saillance (qui sélectionne l’objet de l’attention), le réseau sous-cortical (impliqué dans la mémoire, l’émotion et la motivation) et le réseau exécutif central (qui régule les émotions).
La nouvelle étude, codirigée par l’Université de Cambridge, a analysé plus profondément les mécanismes neuronaux liant l’isolement social aux troubles cognitifs. Les résultats exposés dans le National Library of Medicine appuient les hypothèses antérieures et montrent des modifications significatives au niveau de la matière grise des personnes socialement isolées. Ces changements accentueraient le risque de démence chez les personnes âgées.
Une perte de volume de matière grise
La nouvelle étude a analysé les données, issues de l’UK Biobank, de 462 619 personnes âgées de 57 ans en moyenne. Vivant seules, ayant des interactions sociales moins d’une fois par mois et participant à des activités sociales moins d’une fois par semaine, ces personnes étaient classées comme socialement isolées. Les IRM de 32 263 autres individus, âgés de 63 ans en moyenne, ont également été analysées dans le cadre de l’étude.
Les résultats ont révélé que les personnes souffrant d’isolement social avaient de plus faibles capacités cognitives (mémoire et temps de réaction) ainsi qu’un plus faible volume de matière grise au niveau de plusieurs zones clés du cerveau. Ces pertes de volume se situaient notamment dans la zone temporale (qui code la mémoire), le lobe frontal (impliqué dans l’attention, la planification et les tâches cognitives complexes) et l’hippocampe (impliqué dans l’apprentissage et la mémoire).
12 ans plus tard, les personnes souffrant d’isolement social (mais pas de solitude) présentaient un risque de démence 26% plus élevé. De plus, la baisse de volume de matière grise était liée à une diminution de l’activation de certains gènes empêchant les symptômes de la maladie d’Alzheimer.
Toutefois, les chercheurs doivent encore prendre de nombreux facteurs en compte, ainsi qu’obtenir un échantillon d’étude plus large. Les impacts psychologiques et physiques générés par l’isolement social peuvent par exemple être en corrélation avec le stress engendré. De plus, les parties du cerveau affectées pourraient baisser en volume probablement par manque de sollicitation, tel un muscle qui s’atrophie en étant immobile.