Le « jamais vu », bien que moins médiatisé que le « déjà vu », offre un éclairage unique sur les mécanismes de notre cerveau. Les travaux récents de chercheurs mettent en lumière ce phénomène où le familier devient soudain étranger. Leur étude, saluée par la communauté scientifique, suggère que le jamais vu pourrait avoir des implications pour des conditions telles que le TOC, tout en approfondissant notre compréhension de la mémoire.
Le phénomène du « déjà vu », cette sensation étrange de revivre une situation inédite, a longtemps intrigué les chercheurs. Cette impression fugace, presque insaisissable, a été le sujet de nombreuses spéculations et recherches. Selon une récente étude d’un groupe de scientifiques internationaux, le déjà vu ne serait pas simplement une curiosité de l’esprit. Il servirait en réalité de signal d’alerte de notre système de mémoire, mettant en lumière une désynchronisation entre la reconnaissance de familiarité et la réalité.
Cette découverte, aussi fascinante soit-elle, n’est que la pointe de l’iceberg, selon les chercheurs. Au-delà du déjà vu, un autre phénomène, moins connu mais tout aussi intrigant, émerge des profondeurs de la recherche cognitive : le « jamais vu ». Contrairement à son homologue, le jamais vu transforme le familier en étranger, plongeant les individus dans une profonde réflexion sur la nature de la reconnaissance et de la perception.
L’article qui résulte des recherches de l’équipe a remporté le prix Ig Nobel de littérature 2023. Les prix Ig Nobel sont décernés par les Annals of Improbable Research et récompensent des projets inhabituels, novateurs ou imaginatifs qui suscitent l’intérêt des gens pour la science, la médecine et la technologie. L’étude est publiée dans la revue Memory.
Le mystère du « jamais vu »
Contrairement au déjà vu, qui nous donne l’impression de revivre un moment pourtant inédit, le jamais vu plonge l’individu dans une sensation d’étrangeté face à ce qui devrait lui être familier. Imaginez-vous croiser le regard d’un proche, d’un ami de longue date, et ressentir une soudaine distance, comme si vous le voyiez pour la première fois.
C’est précisément cette sensation que décrit le jamais vu. Les auteurs ont publié un article dans The Conversation dans lequel ils expliquent que, ce phénomène, bien que moins couramment rapporté que le déjà vu, possède ses propres mécanismes déclencheurs. La répétition d’une action ou la fixation prolongée sur un objet ou un mot peuvent induire cette sensation d’étrangeté. Toutefois, ces déclencheurs ne sont pas systématiques et le jamais vu peut survenir spontanément, sans raison apparente, renforçant ainsi le mystère entourant ce phénomène.
Pour explorer les mécanismes sous-jacents au jamais vu, les auteurs ont conçu une expérience simple, mais révélatrice. Ils ont invité des participants à écrire de manière répétée un mot courant, en l’occurrence « porte ». L’idée était de voir comment une action aussi banale que l’écriture répétée d’un mot pouvait influencer la perception de ce dernier.
Au fur et à mesure des répétitions, quelque chose d’inattendu s’est produit. Après avoir écrit le mot environ 30 fois, de nombreux participants ont commencé à ressentir une étrangeté vis-à-vis du mot. Ce terme, pourtant si familier au départ, semblait perdre de sa substance, de sa réalité. Certains participants ont même exprimé le sentiment que le mot ne leur « paraissait plus réel », comme s’ils le découvraient pour la première fois ou qu’il avait perdu son sens.
Cette expérience met en lumière la manière dont notre cerveau peut réagir face à la répétition excessive d’une information. Elle montre que notre perception et notre reconnaissance peuvent être perturbées, même face à des éléments familiers de notre quotidien.
Reprendre des travaux anciens
Les travaux innovants de Moulin et O’Connor sur le jamais vu ont remis au goût du jour un concept ancien : celui du « word alienation » ou « aliénation des mots ». Ce phénomène, qui décrit la sensation d’étrangeté ou de perte de sens d’un mot pourtant familier, avait déjà suscité l’intérêt des chercheurs au début du 20e siècle. À cette époque, les premières études avaient tenté de cerner les contours de cette expérience cognitive singulière.
Cependant, pour diverses raisons, peut-être en raison de la complexité du sujet ou des limitations technologiques de l’époque, ces recherches initiales n’ont pas été poursuivies. Aujourd’hui, avec les avancées en neurosciences et les outils modernes d’imagerie cérébrale, les chercheurs comme Moulin et O’Connor ont la capacité d’explorer ce phénomène avec une précision inégalée. Leur objectif est double : d’une part, redécouvrir et approfondir ce concept d’aliénation des mots, et d’autre part, comprendre les mécanismes cérébraux qui se cachent derrière.
Pourquoi s’intéresser au « jamais vu » ?
Le jamais vu, bien au-delà de sa nature intrigante, revêt une importance cruciale dans le domaine des neurosciences et de la psychologie. Les auteurs expliquent dans un communiqué : « En tant que psychologues, nous sommes habitués aux expériences dissociatives causées par des problèmes neurologiques, tels que des lésions cérébrales. Il est donc agréable de disposer d’une procédure capable de générer de manière fiable ce type d’expérience dissociative chez des personnes en bonne santé ».
En comprenant les mécanismes qui sous-tendent ce phénomène, on peut entrevoir des applications thérapeutiques potentielles. Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est caractérisé par des pensées et des comportements répétitifs. Si le jamais vu est lié à la manière dont notre cerveau réagit à la répétition, il pourrait offrir des pistes pour comprendre et traiter des conditions comme le TOC.
De plus, en explorant le jamais vu, il sera possible d’approfondir les connaissances du fonctionnement cérébral. Le cerveau est constamment sollicité pour traiter une multitude d’informations. Comprendre comment il gère la familiarité et comment il réagit face à la répétition d’une même information peut nous éclairer sur ses mécanismes de base. Cela pourrait, à terme, conduire à des méthodes plus efficaces d’apprentissage, de mémorisation ou même de traitement de certaines pathologies liées à la cognition.