Depuis sa mise en fonction, Webb nous abreuve d’images aussi époustouflantes les unes que les autres. Cette fois-ci, il a pris pour cible une étoile située à environ 5600 années-lumière, dans la constellation du Cygne, baptisée WR 140. Non, il ne s’agit pas d’un défaut optique de l’instrument : il se trouve que cette étoile est entourée d’une série de sphères concentriques, dont le télescope a su saisir tous les détails.
Cette étoile est en réalité une binaire à vents en collision, qui désigne un système formé de deux étoiles massives d’où émanent de puissants vents stellaires (qui se déplacent à près de 3000 km/s). Celui-ci se compose d’une étoile Wolf-Rayet (d’environ 20 masses solaires), de type WC7, qui évolue en orbite autour d’une étoile chaude et massive (de l’ordre de 50 masses solaires) de classe spectrale O4-5 — qui sont toutes deux des types d’étoiles extrêmement rares.
Les étoiles Wolf-Rayet sont des étoiles très chaudes, de plusieurs dizaines de masses solaires. La plupart du temps, elles ne sont plus sur la séquence principale, car elles ont épuisé quasiment tout l’hydrogène en leur cœur. Leurs couches les plus externes sont riches en oxygène, azote, silicium et carbone. Elles perdent de la masse à un rythme très élevé, sous forme de vents stellaires extrêmement rapides. Les étoiles de type O sont elles aussi très chaudes, très lumineuses et de couleur bleue. Elles comptent parmi les étoiles les plus massives connues et de ce fait, leur durée de vie est relativement brève.
Le résultat de deux étoiles massives en interaction
Les deux étoiles du système WR 140 sont animées de vents stellaires très rapides, soufflant à environ 3000 kilomètres par seconde. Elles perdent donc toutes deux de la masse à un rythme assez effréné, de l’ordre de 10-5 (pour l’étoile Wolf-Rayet) et 10-6 (pour l’étoile O) masse solaire par an. Elles décrivent chacune une orbite elliptique et se trouvent donc périodiquement (tous les 8 ans environ) assez proches l’une de l’autre (un point que l’on appelle le périastre), suffisamment proches — à 1,3 UA, soit une distance supérieure d’un tiers environ à la distance Terre-Soleil — pour que leurs vents entrent en collision.
À cet endroit, il se forme alors un puissant front de choc d’où peuvent émaner plusieurs types de rayonnements (principalement X et radio). WR 140 est d’ailleurs l’une des sources de rayons X stellaires non compactes les plus brillantes. Le phénomène entraîne en outre des éruptions périodiques précises de poussière, qui au fil du temps, se répandent dans l’espace en couches successives autour du binaire.
Le processus est visible dans la vidéo ci-dessous (Crédits : NASA/ESA/J. Olmsted (STScI)). Les vents les plus forts de l’étoile Wolf-Rayet soufflent derrière l’étoile O, et de la poussière est créée dans son sillage à mesure que la matière stellaire mélangée se refroidit. Le processus se répète périodiquement et la poussière prend peu à peu la forme d’un moulin à vent caractéristique.
La poussière (composée principalement de carbone) se condense dans le vent stellaire, absorbant une petite fraction du rayonnement UV des étoiles. Ce rayonnement réchauffe la poussière à une température d’environ 1000 K, provoquant son émission aux longueurs d’onde infrarouges — qui diminue à mesure qu’elle s’éloigne des étoiles. Ces couches de poussière brillant dans l’infrarouge, le MIRI (Mid-InfraRed Instrument) de Webb a pu en saisir tous les détails.
Une nouvelle enveloppe de poussière créée tous les huit ans
La poussière est soufflée vers l’extérieur du système binaire par le vent stellaire, ce qui entraîne l’expansion des différentes couches de poussière. Elles se dilatent et se refroidissent à mesure qu’elles s’éloignent, perdant ainsi de la chaleur et de la densité. Sur l’image capturée par James Webb, outre les pointes de diffraction propres à l’instrument (les lignes droites qui partent du centre), on remarque que le bord de chaque couche de poussière est plus visible — la perspective induit en effet une densité de matière plus élevée sur les bords.
Comme évoqué plus haut, les deux étoiles parviennent à leur périastre tous les 8 ans environ (7,9 ± 0,2 ans plus exactement). Par conséquent, une nouvelle « coque » de poussière se forme tous les 8 ans (le périastre le plus récent a été observé en 2016). À l’instar des cernes d’un arbre, dont le nombre permet de déterminer son âge, il suffit donc de compter les coques de poussière composant la nébuleuse du système WR 140 pour estimer l’âge de la dernière enveloppe visible. Une vingtaine sont visibles sur l’image, ce qui signifie que l’on observe ici environ 160 ans de poussière générée par le système.
L’observation de WR 140 par le James Webb a été demandée par une équipe dirigée par l’astrophysicien Ryan Lau, de l’Institut des sciences spatiales et astronautiques de l’Agence spatiale japonaise (JAXA). Les images ont été traitées par deux scientifiques indépendantes, Melina Thévenot et Judy Schmidt — cette dernière est à l’origine de plusieurs autres images de Webb, y compris les récents clichés de Jupiter. Un article sur WR 140 est en préparation ; nous en saurons donc bientôt un peu plus sur les tenants et les aboutissants de cette nouvelle observation.