La pratique intensive des jeux vidéo chez l’enfant a toujours soulevé des inquiétudes. Il a notamment été avancé que jouer à ces jeux plusieurs heures par jour pouvait nuire au développement de l’enfant et à ses capacités cognitives. À l’inverse, certains jeux, en particulier les jeux d’action, ont été présentés comme ayant des effets bénéfiques sur l’attention. Une nouvelle étude financée par la National Science Foundation remet en question ces conclusions et montre que la pratique des jeux vidéo n’a pas d’impact sur les capacités cognitives des enfants de 10-11 ans.
Ce ne sont pas les études qui manquent sur le sujet. Dans les années 2000, de nombreux chercheurs ont tenté de déterminer si la pratique des jeux vidéo — en particulier les jeux d’action ou first-person shooter (FPS) — était liée à diverses aptitudes et capacités cognitives. Ainsi, des expériences ont montré que les joueurs de jeux vidéo surpassent les non-joueurs dans les tests d’attention, de capacités visuo-spatiales, de mémoire de travail, et de contrôle exécutif. Ces résultats ont amené de nombreux chercheurs à conclure que les jeux vidéo peuvent améliorer un certain nombre de capacités cognitives.
Ces conclusions ont même été étayées par des expériences montrant que des individus entraînés à jouer montraient par la suite des capacités de concentration et une performance accrues sur un certain nombre de mesures. Néanmoins, les études qui n’ont pas trouvé de différences significatives entre les joueurs et les non-joueurs sont tout aussi nombreuses, souligne une étude de synthèse sur le sujet, parue en 2015. Cette synthèse soulevait également le fait que la taille des échantillons des participants était souvent trop restreinte, et que les joueurs occasionnels n’étaient généralement pas pris en compte. Elle a finalement conclu que la relation entre les jeux vidéo et l’intelligence fluide était non significative.
Aucune corrélation significative chez les 10-11 ans
Plus récemment, une étude publiée en 2021 dans Procedia Computer Science, a ré-examiné la relation entre les jeux vidéo et les capacités cognitives et la prise de décision. Pour ce faire, les chercheurs ont passé en revue 27 études antérieures sur le sujet : ils ont confirmé que les aptitudes telles que la perception, le contrôle attentionnel et la prise de décision s’améliorent lorsque les sujets sont entraînés avec des jeux vidéo.
Enfin, une étude parue dans JAMA Network Open en octobre 2022, menée sur près de 2000 enfants, a révélé que ceux qui jouaient pendant trois heures par jour ou plus obtenaient de meilleurs résultats aux tests de compétences cognitives impliquant le contrôle des impulsions et la mémoire de travail (par rapport aux non-joueurs).
En résumé, le débat reste ouvert. C’est pourquoi une équipe de l’Université de Houston s’est à nouveau penchée sur la question. Cette étude exploratoire a examiné l’expérience de jeu vidéo de 160 élèves de cinquième année d’écoles publiques urbaines (dont 70% étaient issus de ménages à faible revenu) — un groupe d’âge (10-11 ans) qui selon eux a été peu considéré dans les études passées. Les enfants ont déclaré jouer à des jeux vidéo 2h30 par jour en moyenne ; les plus gros joueurs de l’échantillon y consacraient jusqu’à 4h30 chaque jour.
Les participants ont été soumis à un test standardisé d’aptitude cognitive, connu sous le nom de CogAT, qui permet d’évaluer les compétences verbales, quantitatives et non verbales/spatiales. L’équipe souligne que la plupart des études antérieures reposaient quant à elles sur les notes des enseignants ou des évaluations auto-déclarées ; ce test standardisé apporte donc davantage d’objectivité. Et de nombreux jeunes joueurs vont sans doute se réjouir : « Dans l’ensemble, ni la durée du jeu ni le genre du jeu n’avaient de corrélations significatives avec les mesures du CogAT », concluent les chercheurs dans le Journal of Media Psychology.
Pas d’avantage cognitif mesurable, peu importe le type de jeu
L’étude a également révélé un autre aspect : alors que certains types de jeux vidéo (les jeux vidéo d’action) ont été précédemment associés à certaines améliorations des compétences cognitives, les chercheurs n’ont trouvé là encore aucun effet mesurable. Ce résultat est important, car l’idée que les jeux vidéo puissent apporter un avantage cognitif a servi d’argument de vente et a conduit à une prolifération de jeux conçus pour « entraîner le cerveau ».
« L’étude actuelle a trouvé des résultats qui sont cohérents avec les recherches précédentes montrant que les types de jeu qui semblent augmenter les fonctions cognitives chez les jeunes adultes n’ont pas le même impact chez les enfants beaucoup plus jeunes », a précisé C. Shawn Green, professeur au Département de Psychologie à l’Université du Wisconsin-Madison et co-auteur de l’étude.
En résumé, cette étude remet non seulement en question les théories qui prédisent une diminution des performances cognitives chez les enfants qui jouent beaucoup aux jeux vidéo, mais aussi celles qui suggèrent une amélioration possible de leurs performances via la pratique de certains types de jeux.
Selon les auteurs, les parents peuvent donc être rassurés, à condition que l’enfant reste raisonnable : le plus grand risque étant qu’il passe davantage de temps à jouer qu’à faire ses devoirs, ce qui nuira indirectement à ses performances scolaires. « Les résultats de l’étude montrent que les parents n’ont probablement pas à s’inquiéter autant des revers cognitifs chez les enfants épris de jeux vidéo, jusqu’à la cinquième année. […] Gardez simplement un œil sur les comportements obsessionnels », a déclaré la Dre Jie Zhang, spécialiste en psychologie de l’éducation et co-auteure de l’étude.