Plusieurs études ont déjà mis en évidence que la pratique des jeux vidéos pouvait entraîner des changements dans le cerveau. Des changements à la fois structurels, tels qu’une augmentation de taille de certaines zones cérébrales, et fonctionnels, qui se traduisent par une attention et une habileté visuospatiales accrues. De nouvelles recherches, dont les résultats viennent d’être publiés dans Frontiers in Human Neuroscience, suggèrent que ces changements cognitifs peuvent même perdurer des années après que les individus ont cessé de jouer régulièrement.
Pour parvenir à cette conclusion, des chercheurs de l’université ouverte de Catalogne ont comparé les performances cognitives de plusieurs individus, ayant beaucoup joué, ou au contraire jamais, aux jeux vidéos pendant leur enfance. Les résultats suggèrent que la pratique du jeu vidéo avant l’adolescence est réellement bénéfique et que les effets sont durables.
Super Mario pour booster la matière grise
Pendant longtemps, les jeux vidéos ont été accusés de développer chez l’enfant une forme de violence et d’agressivité. S’il est vrai qu’un phénomène de dépendance peut apparaître, les cas relevant d’une addiction pathologique grave restent rares. Aujourd’hui, les opinions ont changé ; les jeux vidéos pourraient même s’avérer bénéfiques pour la santé, en développant la créativité, en améliorant la concentration ou les capacités visuelles.
Ils sont même parfois utilisés dans un contexte médical, notamment dans le traitement de certaines pathologies mentales, par exemple pour soigner le TDAH, ou trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Même l’Organisation mondiale de la santé s’est récemment associée à différents acteurs du jeu vidéo pour recommander la pratique de ce loisir pendant le confinement lié à la pandémie, à travers l’initiative #PlayApartTogether !
Dans le cadre de leurs recherches, quatre scientifiques du Cognitive Neurolab de l’université ouverte de Catalogne, ont recruté 27 personnes, âgées de 18 à 40 ans, avec ou sans aucune expérience du jeu vidéo. Ces personnes ont été amenées à réaliser diverses tâches pour tester leurs capacités cognitives, évaluées à trois moments clés : avant la formation au jeu vidéo (qui consistait en dix sessions de 1h30), puis à la fin de cette période de formation et enfin, quinze jours après.
L’objectif des chercheurs était en réalité de vérifier si une combinaison d’entraînement au jeu vidéo et de stimulation magnétique transcrânienne (TMS) — une technique de stimulation cérébrale non invasive — pouvait être utilisée pour améliorer la cognition, en particulier la mémoire de travail et les fonctions exécutives. « La TMS utilise des ondes magnétiques qui, lorsqu’elles sont appliquées à la surface du crâne, sont capables de produire des courants électriques dans les populations neurales sous-jacentes et de modifier leur activité », précise Marc Palaus, l’un des auteurs de l’étude. Après chaque session de jeu, une TMS a été appliquée au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral droit de tous les participants.
Pour l’expérience, les chercheurs ont choisi le jeu Super Mario 64, un jeu de plateformes en 3D, connu pour modifier la plasticité structurelle cérébrale selon une étude publiée dans Molecular Psychiatry. La pratique de ce jeu entraînerait en effet une augmentation significative de la matière grise dans les régions du cerveau associées à la navigation spatiale, la planification stratégique, la mémoire de travail et les performances motrices.
Une « gymnastique mentale » facilitée par l’expérience passée
Très logiquement, tous les participants ont amélioré leurs performances de jeu au fil du temps. Mais dans les deux groupes (avec et sans expérience), la TMS n’a apporté aucune amélioration notable des performances cognitives. Un constat que les chercheurs expliquent par le caractère ponctuel de cette manipulation : « Nous visions à réaliser des changements durables. Dans des circonstances normales, les effets de cette stimulation peuvent durer de quelques millisecondes à des dizaines de minutes. Nous voulions obtenir des performances améliorées de certaines fonctions cérébrales qui durent plus longtemps », souligne Palaus.
Les chercheurs se sont donc tournés vers d’autres facteurs pouvant influer sur les capacités évaluées (âge, sexe et expérience de jeu vidéo). Il s’avère que les participants qui avaient beaucoup joué avant l’adolescence (pendant au moins 1 an et plus de 3 heures par semaine) — même s’ils ne jouaient plus depuis lors — ont affiché de meilleures performances dans les tâches qui nécessitaient de retenir et de manipuler mentalement des informations pour obtenir un résultat (des tâches dites de « mémoire de travail »). Parallèlement, les personnes qui n’avaient pas joué aux jeux vidéos pendant leur enfance se sont montrées plus lentes que les autres dans l’exécution de ces tâches.
Concernant les activités de traitement d’objets 3D, « les personnes qui jouaient régulièrement dans leur enfance ont obtenu de meilleurs résultats dès le début » selon Marc Palaus, l’un des auteurs de l’étude. Toutefois, les différences entre les deux groupes se sont atténuées après la période de formation au jeu vidéo.
La pratique du jeu vidéo dans l’enfance semble donc plutôt bénéfique. Mais il faut bien avouer que la taille de l’échantillon considéré est relativement petite ; en outre, même si les joueurs aguerris ont brillé au début de l’expérience, quinze heures de formation au jeu ont visiblement suffi à réduire les écarts de performance pour certaines tâches. Des recherches supplémentaires seront donc nécessaires avant d’affirmer que les jeux vidéos rendent plus intelligents ! Les chercheurs restent confiants : « Bien qu’ils n’atteignent pas les effets souhaités de la stimulation, nos résultats, bien qu’exploratoires, fournissent des informations précieuses concernant les limites de la stimulation de cerveaux sains et les effets bénéfiques possibles de l’exposition aux jeux vidéo ».
Ils soulignent par ailleurs que leur expérience repose sur un jeu de plateformes en 3D, mais qu’il existe d’autres genres de jeux, qui peuvent influencer différemment les fonctions cognitives. Ces jeux impliquent généralement des éléments qui incitent les joueurs à continuer, ils deviennent en outre progressivement plus difficiles et représentent ainsi un défi constant. Des éléments qui, selon Palaus, « suffisent à en faire une activité attractive et motivante, qui nécessite une utilisation constante et intense des ressources de notre cerveau ».