En analysant les données recueillies par le télescope spatial James Webb (JWST), des astronomes ont identifié une population de galaxies naines primitives susceptibles d’avoir joué un rôle dans la réionisation de l’Univers. Bien que de taille modeste, ces galaxies se révèlent étonnamment énergétiques : elles auraient émis suffisamment de rayonnement ultraviolet pour dissiper le brouillard d’hydrogène neutre qui enveloppait alors le cosmos, lors de « sursauts d’étoiles » survenus environ 800 millions d’années après le Big Bang.
Environ 380 000 ans après le Big Bang, l’Univers s’est refroidi au point que les particules chargées ont pu se combiner pour former des atomes d’hydrogène neutres. Ce processus a généré un épais voile cosmique qui a plongé l’Univers dans l’obscurité durant son premier milliard d’années — une époque que les astrophysiciens désignent comme « l’âge sombre de l’Univers ».
Ce n’est que plusieurs centaines de millions d’années plus tard que ce gaz a été réionisé sous l’effet d’un intense rayonnement ultraviolet. Cette période charnière, connue sous le nom de « réionisation », a levé le voile cosmique, permettant à la lumière de circuler librement dans l’espace et marquant ainsi la sortie de l’Univers de son obscurité primitive.
L’origine de cette lumière ionisante fait depuis des décennies l’objet de débats nourris. Plusieurs hypothèses sont en lice : les grandes galaxies primitives, les quasars alimentés par des trous noirs supermassifs, ou encore les galaxies de faible masse.
Des travaux récents ont renforcé la piste des petites galaxies — ou galaxies naines — en suggérant que leur rayonnement proviendrait de sursauts d’étoiles, un phénomène bref et intense au cours duquel se forment de nombreuses étoiles en un temps réduit. Aujourd’hui, ce type de galaxies ne représenterait qu’environ 1 % des galaxies connues dans l’Univers. Elles auraient en revanche été bien plus abondantes il y a 800 millions d’années — un moment aussi appelé « décalage vers le rouge 7 » — alors que la réionisation était déjà bien avancée.
Les dernières données issues du JWST, analysées par une équipe de l’Université catholique d’Amérique, à Washington, viennent appuyer cette hypothèse. Ces chercheurs ont identifié un groupe restreint de galaxies naines primitives, remarquables par leur activité lumineuse. « En matière de production de lumière ultraviolette, ces petites galaxies sont bien plus performantes que ne le suggère leur poids », souligne Isak Wold, chercheur adjoint à l’Université catholique d’Amérique et au Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt (Maryland), dans un communiqué de la NASA.
« Notre analyse de ces galaxies minuscules mais puissantes est dix fois plus précise que celle des études précédentes, et montre qu’elles étaient présentes en nombre suffisant et disposaient d’assez de puissance ultraviolette pour être à l’origine de cette transformation cosmique », poursuit-il. Ces résultats ont été dévoilés à l’occasion de la 246e réunion de l’American Astronomical Society, qui s’est tenue à Anchorage, en Alaska.
Des galaxies naines à « sursauts d’étoiles » pouvant réioniser le cosmos ?
Pour mener leur enquête, l’équipe dirigée par Isak Wold a exploité les observations du programme « Ultradeep NIRSpec et NIRCam ObserVations avant l’époque de la réionisation » (UNCOVER), réalisées par le JWST. Les chercheurs ont focalisé leur attention sur l’amas géant de galaxies Abell 2744 — également connu sous le nom d’amas de Pandore — situé à environ 4 milliards d’années-lumière, dans la constellation du Sculpteur.
La masse colossale de cet amas agit comme une lentille gravitationnelle, amplifiant la lumière des objets plus lointains et étendant ainsi la portée du JWST jusqu’à 13 milliards d’années-lumière. Cette amplification a permis aux chercheurs d’explorer des galaxies naines situées dans la tranche d’âge critique, susceptibles de présenter des sursauts d’étoiles.
Au total, 83 galaxies naines datant d’environ 800 millions d’années après le Big Bang ont été identifiées — à une époque où l’Univers ne représentait que 6 % de son âge actuel. D’après les chercheurs, ces galaxies sont si peu massives qu’il en faudrait entre 2 000 et 200 000 pour égaler la masse stellaire de la Voie lactée.
L’équipe a ensuite sélectionné 20 de ces galaxies pour une étude plus approfondie à l’aide de l’instrument NIRSpec. Les astrophysiciens ont scruté des sources lumineuses particulièrement intenses, caractérisées par une raie d’émission à une longueur d’onde spécifique : un signal vert émis par des atomes d’oxygène ayant perdu deux électrons.
Initialement émise sous forme de lumière visible dans l’Univers primitif, cette raie d’émission est due à de l’oxygène doublement ionisé — un indicateur d’une activité stellaire intense. En traversant un espace en expansion, cette lumière s’est décalée vers l’infrarouge, une transformation qui permet aujourd’hui aux instruments du JWST de la détecter.
Les galaxies ainsi isolées montrent des signes probants de sursauts d’étoiles. Si elles fonctionnent de manière similaire aux galaxies naines actuelles, elles pourraient libérer jusqu’à 25 % de leur rayonnement ultraviolet dans le milieu intergalactique, ce qui pourrait suffire à réioniser l’hydrogène neutre de l’Univers primitif.
« Les galaxies de faible masse concentrent moins d’hydrogène neutre autour d’elles, ce qui facilite la fuite de la lumière ultraviolette ionisante », explique James Rhoads, coauteur de l’étude au Goddard Space Flight Center. « Par ailleurs, les épisodes de sursauts stellaires produisent non seulement une abondante lumière ultraviolette, mais creusent également des canaux dans la matière interstellaire d’une galaxie, facilitant ainsi sa diffusion », conclut-il.