Lors de sa formation il y a 4.5 milliards d’années, la Terre n’abritait aucune trace de vie. Puis, progressivement, des molécules complexes se sont formées, ont interagi et ont permis l’apparition de systèmes biologiques. Bien que les scientifiques retracent l’apparition de la vie à environ 3.6 milliards d’années à partir d’un ancêtre commun nommé LUCA, les mécanismes à l’origine de cette apparition sont toujours inconnus. Récemment, une nouvelle étude a montré que l’hypothèse principale du monde à ARN proposée pour résoudre ce problème n’est en réalité certainement pas correct, et que ce sont plutôt des hybrides ARN-ADN qui sont apparus en premier.
Pendant des décennies, les chimistes ont testé des théories sur le début de la vie sur Terre. Une hypothèse retient l’attention des scientifiques depuis plusieurs années : le monde à ARN. Cette théorie propose que les molécules prébiotiques se soient rapidement associées pour former l’ARN, les molécules qui portent les instructions de l’ADN dans les organismes actuels. Elle affirme qu’une fois que l’ARN s’est formé sur Terre, il a commencé à se répliquer et a ensuite donné naissance à des molécules comme l’ADN.
Les écueils de l’hypothèse du monde à ARN
Le monde à ARN est une théorie fascinante, selon Ramanarayanan Krishnamurthy, biochimiste au Scripps Research, mais il n’est peut-être pas correct. Le problème est que les ingrédients, tels que les enzymes, nécessaires au fonctionnement d’un monde à ARN, n’existaient tout simplement pas sur la Terre primitive.
« Le monde à ARN a donné lieu à l’idée que si vous synthétisez d’une manière ou d’une autre l’ARN, qui peut se répliquer et catalyser les réactions, tout le reste s’ensuit automatiquement » déclare Krishnamurthy, membre de la Collaboration Simons sur les origines de la vie. « Ce n’est certainement pas le cas, car cette hypothèse repose sur la réplication de l’ARN, ce qui est très difficile ».
Une partie du défi est que les molécules d’ARN forment des structures stables appelées duplex. Ces structures ont une forte affinité de liaison. Cela signifie que les molécules d’ARN ont des difficultés à se séparer les unes des autres et agissent en tant que matrices pour se répliquer davantage en l’absence d’enzymes.
Des molécules hybrides ARN-ADN
Krishnamurthy dispose à présent d’indices expérimentaux démontrant que le processus de la vie sur Terre aurait pu commencer avec des molécules ressemblant à un mélange d’ARN et d’ADN.
Dans l’article publié dans la revue Nature Chemistry, par Subhendu Bhowmik, les chercheurs rapportent que ces molécules mélangées forment des duplex instables et ont une affinité moindre pour elles-mêmes. De manière surprenante, ces « chimères » ont une affinité plus forte pour l’ARN et l’ADN, ce qui leur permet d’agir en tant que matrices pour la fabrication d’ARN ou d’ADN.
En fait, les chercheurs ont pu former ces chimères dans des conditions de laboratoire et ont montré qu’elles pouvaient répliquer l’ARN et l’ADN. L’ARN et l’ADN ainsi formés sont capables de reproduire les chimères. Ce comportement pourrait conduire à une amplification catalytique croisée de l’ARN et de l’ADN, une étape clé vers l’évolution d’organismes complexes.
« Cette étude implique que l’ARN et l’ADN auraient pu apparaître simultanément à la place de la théorie largement acceptée du monde à ARN, où l’ARN apparaît en premier et donne ensuite naissance à l’ADN. Cela signifie que des mélanges d’ARN et d’ADN auraient pu coexister » explique Krishnamurthy.
Le TNA : un ancêtre de l’ARN
Dans les organismes actuels, l’ADN et l’ARN remplissent des rôles très différents dans nos cellules. Le nouveau projet soutient expérimentalement l’idée que la vie aurait pu naître d’un système beaucoup plus complexe, où l’ARN et l’ADN « purs » n’existaient pas encore. Dans les travaux menés par Bhowmik, associé de recherche au laboratoire de recherche Scripps, l’équipe a également créé des molécules hétérogènes composées d’ARN et une molécule synthétique appelée TNA, qui a été proposée comme un ancêtre plausible de l’ARN.
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Le TNA est très similaire à l’ARN, mais les biochimistes ont remplacé un type de molécule de sucre (ribose) par un autre (thréose). Cela permet à la TNA d’établir une paire croisée avec l’ARN et l’ADN. Krishnamurthy et Bhowmik affirment qu’une molécule comme le TNA aurait pu effectuer cet appariement croisé au tout début de l’évolution, conduisant à la formation côte à côte du TNA et de l’ARN.
Une évolution thermodynamique favorable des molécules hybrides vers l’ARN et l’ADN
En mélangeant l’ARN et l’ADN, les chercheurs ont montré qu’il aurait été possible de former une molécule mixte qui pourrait servir de matrice pour l’ARN et l’ADN. Cette molécule mixte est également un système à haute énergie, en ce sens qu’elle forme des duplex instables. Les nouvelles recherches montrent que ces duplex instables (systèmes à haute énergie) sont capables de donner naissance à l’ARN et à l’ADN, qui forment des duplex plus stables (systèmes à basse énergie).
Il existe donc un mouvement thermodynamiquement favorable des systèmes chimériques (moins stables, à énergie plus élevée) aux systèmes homogènes (plus stables, à énergie plus faible).
Si l’apparition de la vie reste encore un mystère, les expériences montrent au moins des réactions chimiques qui auraient pu éventuellement aboutir aux séquences d’ARN et d’ADN pures qui soutiennent la vie aujourd’hui. Les travaux corroborent également les conclusions d’une étude menée par le Scripps Research en 2018, qui montrait comment une bactérie modifiée peut fonctionner avec un génome mixte ARN-ADN.
Les ingrédients prébiotiques nécessaires aux molécules hybrides ARN-ADN
Selon Krishnamurthy, les recherches à venir devraient se concentrer sur les ingrédients nécessaires aux chimères ARN-ADN qui auraient été disponibles sur la Terre prébiotique. Les chercheurs ont utilisé plusieurs molécules qui n’étaient probablement pas disponibles à l’époque, même si des ingrédients similaires auraient dû exister.
La nouvelle étude donne aux chercheurs une preuve de principe que ces réactions peuvent fonctionner, et Krishnamurthy prévoit de poursuivre avec de nouvelles expériences afin d’explorer les voies permettant aux molécules de la vie de se rencontrer. Krishnamurthy s’intéresse également à la manière dont les chimères ARN-ADN pourraient être utilisées en biomédecine. Il dit que ces systèmes mixtes peuvent aider les chercheurs à surmonter certains problèmes de séquençage génétique.