Contrairement aux autres réactions physiques, l’annihilation matière-antimatière résulte en la libération de la totalité de leur équivalence masse-énergie sous forme d’énergie, sans pertes. Cela en a très rapidement fait un concept de science-fiction, domaine dans lequel l’antimatière est souvent utilisée comme source d’énergie pour des armes ou comme carburant. Mais qu’en est-il de la réalité scientifique de telles utilisations ? L’antimatière peut-elle être utilisée comme arme à court terme ?
L’avantage de la réaction matière-antimatière pour une arme théorique est évident au premier abord : l’énergie libérée correspond à la somme exacte de leur équivalent masse-énergie. En d’autres mots, l’équivalence E = mc² se réalise complètement, sans aucune perte dans le processus. Une telle arme aurait ainsi un bien meilleur rendement énergétique que les armes thermonucléaires actuelles les plus efficaces, dont le rendement se situe entre 7 et 10%.
La collision matière-antimatière libère donc en totalité l’énergie de masse des deux composantes. En termes d’énergie, 1 gramme de cette réaction produit environ 1.8×1014 J, soit environ 43 kilotonnes. Si sur le papier ces paramètres s’avèrent extrêmement intéressants pour toute institution souhaitant réaliser des armes à antimatière, de nombreuses contraintes d’ordres technique et économique rendent ces perspectives impossibles à court terme.
Une production actuelle nettement insuffisante
Aujourd’hui, l’antimatière n’est produite artificiellement que de deux façons connues : au sein des accélérateurs à particules et par bombardement de particules à haute énergie. Ces deux processus ont un rendement extrêmement faible et une efficacité de production médiocre. Le taux de production mondial d’antimatière ne se situant qu’entre 1 et 7 nanogrammes par année. En 2008, par exemple, le Décélérateur d’Antiprotons du CERN n’a produit que quelques picogrammes d’antiprotons.
Pour développer une bombe à antimatière de puissance équivalente à une bombe nucléaire de 10 mégatonnes, c’est-à-dire 250 grammes d’antimatière, avec les taux de production actuels, cela nécessiterait environ 2.5 milliards d’années de production mondiale intensive. Ainsi, pour réaliser une bombe équivalente à la bombe d’Hiroshima, cela nécessiterait 500 mg d’antimatière, soit 2 millions d’années de production au CERN.
En outre, la très petite section efficace de production d’antiprotons dans le cadre de collisions nucléaires à haute énergie rend très difficile l’amélioration du taux de production d’antimatière avec les technologies actuelles. Même si des laboratoires spécialisés comme le Lawrence Livermore National Laboratory ont réussi à augmenter la quantité de positrons produits grâce au bombardement de cibles en or par des lasers à impulsion courte, ces taux restent encore bien trop faibles.
Un stockage trop complexe à réaliser
L’autre contrainte technologique est le stockage de l’antimatière. Considérant que celle-ci s’annihile systématiquement avec la matière ordinaire, il est impossible d’utiliser des systèmes de stockage conventionnels.
Aujourd’hui, l’antimatière produite dans les accélérateurs de particules est stockée et stabilisée dans des dispositifs appelés pièges de Penning ; des enceintes sous vide dans lesquelles les antiparticules chargées sont piégées par un champ électromagnétique de haute intensité.
En outre, le cœur de toute arme à antimatière doit posséder une charge électrique globalement neutre afin de pouvoir être compacté au maximum. Par exemple, un cœur composé exclusivement d’antiprotons (charge électrique positive) aurait une taille trop importante due à la répulsion électrique des antiprotons. Il faudrait donc utiliser des atomes d’antihydrogène dont la stabilité est extrêmement difficile à maintenir (refroidissement proche du zéro absolu couplé à un piège de Penning).
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Enfin, le risque d’annihilation matière-antimatière accidentelle est élevé. Si le dispositif de stockage dysfonctionne, cela provoquerait l’annihilation complète de la structure et la libération extérieure de toute l’énergie résultante de la réaction. Par contraste, les bombes nucléaires ne s’activent que si le déclencheur nucléaire est allumé ; aucune réaction thermonucléaire ne peut se produire si l’activation n’est pas faite délibérément.
Des coûts de production extrêmement prohibitifs
Parallèlement aux obstacles technologiques, il existe également de très fortes contraintes économiques sur le développement d’armes à antimatière. Aujourd’hui, la production d’un gramme d’antimatière coûte environ 60 milliards de milliards d’euros. Au CERN, la production de quelques picogrammes d’antiprotons au Décélérateur d’Antiprotons coûte 18 millions d’euros par an.
Ces coûts totalement prohibitifs pour les quantités produites (bien trop petites pour la plus petite des armes envisageable) rendent donc non viable le développement à courte échéance d’armes à antimatière. Même dans le cas où il serait possible de convertir directement l’énergie en paires de particule-antiparticule sans aucune perte, une centrale géante générant une puissance de 2000 MWe mettrait 25h pour produire seulement 1 gramme d’antimatière.
Avec un coût en énergie électrique de 45 euros/MWh, cela conduirait à un coût de 2.5 millions d’euros par gramme d’antimatière. Si cela n’est pas économiquement viable pour une arme, le bilan reste toutefois extrêmement intéressant en matière de carburant pour engins spatiaux. En effet, la NASA estime qu’un milligramme d’antimatière serait suffisant pour qu’une sonde effectue un aller-retour sur Pluton en une seule année.