Les lémuriens défient le temps : ils continuent d’évoluer après 53 millions d’années

« … il se passe quelque chose de particulier à Madagascar. »

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En menant de vastes analyses phylogénomiques sur les lémuriens et d’autres primates, des biologistes ont mis en évidence que ces animaux continuent d’évoluer, près de 53 millions d’années après leur arrivée supposée à Madagascar. Alors que les modèles classiques d’évolution prévoient un ralentissement du rythme de diversification au fil du temps, les lémuriens semblent échapper à cette règle et se diversifient à un rythme supérieur à celui observé chez d’autres primates. Cette découverte pourrait aider à mieux orienter les efforts de conservation de ce clade fortement menacé par la disparition de son habitat.

Les lémuriens sont des primates endémiques de Madagascar, qui compte plus de 100 espèces vivantes. Seize autres espèces ont existé et ont disparu au cours des 2 000 dernières années, après l’arrivée de l’homme sur l’île. Située à environ 400 kilomètres à l’est de l’Afrique, Madagascar est la quatrième plus grande île du monde et abrite à elle seule 15 % de toutes les espèces de primates. Les lémuriens, n’existant nulle part ailleurs dans le monde, constituent un ordre unique.

Ils appartiennent au sous-ordre des strepsirrhiniens, qui a divergé plus tôt des haplorhiniens — le groupe auquel appartiennent les singes, les grands singes et les humains. Ils seraient arrivés depuis l’Afrique à Madagascar il y a environ 53,2 millions d’années, probablement en traversant le canal du Mozambique à bord de radeaux de végétation. L’île, alors isolée et dépourvue de grands prédateurs, aurait offert un terrain propice à leur diversification rapide. Les lémuriens ont ainsi colonisé une grande variété d’habitats, des forêts tropicales humides aux forêts sèches décidues, en passant par les forêts épineuses, montagneuses, côtières et les mangroves.

Si le maki catta, ou Lemur catta — le lémurien à queue annelée popularisé par le personnage de King Julian dans le film Madagascar — est le plus connu, l’ordre présente une grande diversité de formes. Les plus petits, comme le microcèbe de Madame Berthe (Microcebus berthae) ressemblent, par exemple, à de petites souris arboricoles (d’où leur nom anglais de « mouse lemurs ») et pèsent moins de 30 grammes pour une dizaine de centimètres de long. Les plus grands, en revanche, les Archaeoindris, aujourd’hui disparus, faisaient la taille de gorilles.

En raison de cette diversité, les lémuriens sont souvent cités comme exemple de « radiation adaptative », un processus évolutif désignant l’apparition rapide de nouvelles espèces issues d’une même lignée. Chez la plupart des groupes animaux, le taux de spéciation — c’est-à-dire le nombre de nouvelles espèces apparues par million d’années — augmente rapidement avant de décliner, à mesure que les niches écologiques se remplissent.

Cependant, de récentes observations suggèrent que la radiation adaptative des lémuriens ne semble pas suivre ce schéma. Une nouvelle étude phylogénomique, codirigée par l’Université d’État de l’Oregon, vient renforcer ces conclusions. « Nos analyses révèlent de multiples phases de diversification — sans déclin ultérieur — qui expliquent une grande partie de la diversité actuelle des lémuriens », écrivent les chercheurs dans leur article publié dans la revue Nature Communications.

Une diversification défiant les lois de l’évolution

L’étude a examiné l’évolution des lémuriens à partir de données phylogénomiques incluant un vaste échantillon de primates, notamment les Lorisiformes d’Afrique et d’Asie continentale. Les Lorisiformes regroupent les lorisidés (loris, pottos et angwantibos) et les galagidés (galagos).

Les résultats montrent que trois groupes de lémuriens — les microcèbes, les lépilemurs et les lémurs bruns — présentent actuellement des taux de spéciation particulièrement élevés. À l’inverse, leurs cousins d’Afrique et d’Asie continentale évoluent à un rythme nettement plus lent, conformément aux hypothèses conventionnelles sur l’évolution des espèces — « ce qui suggère qu’il se passe quelque chose de particulier à Madagascar », a déclaré dans un communiqué Kathryn M. Everson, chercheuse à l’Université d’État de l’Oregon et autrice principale de l’étude.

Quand l’hybridation devient moteur d’évolution

Par ailleurs, les clades présentant les taux de spéciation les plus élevés affichaient également d’importants niveaux d’introgression génomique, autrement dit d’hybridation entre espèces. « Cela suggère que, chez ces primates, l’hybridation n’est pas une impasse évolutive, comme c’est souvent le cas, mais un moteur potentiel de diversification », précise Everson.

Mais si les données indiquent que les lémuriens continuent d’évoluer, l’ordre est aujourd’hui gravement menacé par la destruction accélérée de ses habitats naturels. Près de 96 % d’entre eux sont désormais considérés comme menacés d’extinction, dont 31 % en danger critique selon la liste rouge de l’UICN. L’équipe de recherche espère que ses travaux pourront contribuer à leur conservation, par exemple en soulignant l’importance de ces primates pour la compréhension des mécanismes de l’évolution des espèces.

Source : Nature Communications

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