Une nouvelle table ronde du Groupe de travail parlementaire sur la révision de la directive des produits du tabac a été organisée au Parlement européen le 19 avril 2023 sur le thème des « stratégies d’influence de l’industrie du tabac au sein des institutions européennes ». Les participants, conduits par les eurodéputées françaises Michèle Rivasi et Anne-Sophie Pelletier, n’ont pas mâché leurs mots envers Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne et Stella Kyriakides, Commissaire européenne à la santé.
Cette table ronde, diffusée en direct, s’est déroulée dans un contexte pour le moins tendu. Car le torchon brûle depuis déjà plusieurs mois entre Bruxelles et Strasbourg, où siège le Parlement européen. La Commission européenne n’a pas manqué de surfer sur la crise du QatarGate pour dénoncer le manque de vigilance de certains eurodéputés face aux tentatives d’influence étrangères. Dans le même, la Commission européenne subit, depuis plusieurs semaines, les attaques d’Emily O’Reilly, médiatrice européenne, après la très médiatique affaire « Dentsu Tracking – Jan Hoffmann », qui démontrerait la proximité entre Bruxelles et les industriels du tabac.
Le groupe de travail s’est d’ailleurs attaché le travail de plusieurs universitaires et experts du domaine, dont Allan Gallagher de l’Université de Bath et Olivier Hoedeman du Corporate Europe Observatory (CEO), venus pour illustrer, données à l’appui, le manque de transparence dans les échanges entre les services de la Commission européenne et les industriels du tabac. Parmi les points soulevés, le recours à des associations pilotées en sous-main par les lobbys pour répondre massivement aux consultations lancées par la Commission européenne et en influencer les résultats. De quoi jeter le trouble sur les engagements de Bruxelles en faveur d’une Better Regulation, qui aspire à mieux intégrer les citoyens européens dans les processus décisionnels et à fonder ses décisions sur approche evidence-based.
Parmi les autres panélistes, Carl Dolan, représentant d’Emily O’Reilly, médiatrice européenne, à l’origine d’une étude précise sur les cas de mauvaises pratiques liées aux rencontres régulières entre le lobby du tabac et les cigarettiers : « Le Médiateur se demande comment la Commission peut rassurer le public sur le fait que ses interactions avec les lobbyistes du tabac ne compromettent pas les politiques de santé publique », souligne ainsi les services de la médiatrice européenne, dans un compte rendu dédié aux recherches menées. Sur l’avancée de l’enquête de la Médiatrice européenne sur le cas Dentsu Tracking / Jan Hoffmann en revanche, Carl Dolan est cependant resté évasif, provoquant la colère de Michèle Rivasi, qui a évoqué une possible saisine de la justice sur cette affaire.
La Commission européenne n’est pas jugée conforme avec le Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac »
Autre cible des eurodéputés : le système européen de traçabilité des produits illicites de tabac, jugé largement défaillant. Selon plusieurs ONG, appuyées par les données du groupe de recherche Tobacco Control de l’Université de Bath, le système européen ne serait pas conforme au Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac », un texte de référence pourtant ratifié par l’Union européenne en juin 2016 et plusieurs États membres, dont la France.
Côté résultats opérationnels, plusieurs pays ont déploré de fortes hausses du commerce parallèle de tabac, démontrant ainsi que le système européen de traçabilité manque d’efficacité. Niveau fiscal, les États membres perdraient environ 20 milliards de recettes par an du fait du commerce illicite, alors même que le tabagisme demeure stable, voire augmente dans certains pays. Dont la France, qui a constaté une augmentation du nombre de fumeurs entre 2020 et 2021, ce taux passant de 30,1 % à 31,9 % de la population adulte. D’un point de vue sanitaire, le tabagisme tue 750 000 personnes par an en Europe chaque année et cause 15 % des 8 millions de morts prématurées annuelles dans le monde, pour un coût social estimé à 120 milliards par an.
Dentsu Tracking en ligne de mire
Le député européen Pierre Larrouturou, aussi présent à la table ronde, a invité le Parlement européen à se saisir du sujet et à procéder à une série d’auditions, notamment des industriels et de Dentsu Tracking, l’entreprise en charge d’assurer la traçabilité des produits du tabac en Europe, dont le contrat prend théoriquement fin en 2024, sauf en cas de modification de l’acte d’exécution relatif au système de traçabilité.
À terme, Michèle Rivasi espère que ces travaux contribueront au lancement de la révision des directives 2014/40/UE relative aux produits du tabac, la « Tobacco Products Directive (TPD) », et 2011/64/UE sur la taxation des produits d’accises, dont le tabac, qui sera au programme de la prochaine table ronde prévu d’ici l’été, comme annoncé par Anne-Sophie Pelletier. « La révision de la directive tabac a au moins deux ans de retard », estime ainsi Michèle Rivasi, qui en impute la responsabilité à l’influence des cigarettiers.