Alors que des empreintes de pas humains datant de 100 000 ans ont été trouvées en 2022 à Larache, au sud de Tanger (Maroc), de récentes découvertes pourraient bien réécrire l’histoire de la migration humaine. Des outils en pierre enfouis dans les sédiments de la carrière de Korolevo, en Ukraine, viennent d’être mis au jour par une équipe d’archéologues. Ces morceaux de roche qui paraissent anodins au premier abord ont été utilisés autrefois par l’ancêtre direct de l’homme : Homo erectus. Ils représentent les plus anciennes preuves de l’existence d‘hominidés sur le continent européen. Cette découverte remet ainsi en question plusieurs estimations scientifiques, notamment le fait que les premiers ancêtres de l’homme ne pouvaient pas survivre dans des latitudes au climat froid.
Les grottes d’Atapuerca en Espagne et de Vallonnet en France étaient jusqu’ici considérées comme les premiers lieux habités en Europe par l’ancêtre de l’homme. Cependant, de récentes découvertes sont en passe de changer notre perception de l’histoire. Dans l’ouest de l’Ukraine, sur le site archéologique de Korolevo, des outils en pierre vieux de 1,4 million d’années ont été découverts par une équipe de chercheurs dirigée par l’Institut de physique nucléaire de l’Académie tchèque des sciences. Les détails ont été publiés dans la revue Nature.
Ayant contribué à la datation du site de Korolevo, le professeur Andy Herries, archéologue de La Trobe University et directeur du laboratoire australien d’archéomagnétisme, estime que cette découverte est d’une importance capitale. En effet, elle suggère que l’Homo erectus a pu s’adapter aux environnements froids bien avant ce qui était estimé. « Auparavant, on pensait que nos premiers ancêtres ne pouvaient pas survivre dans les latitudes plus froides et plus septentrionales sans utiliser le feu ou des outils de pierre complexes. Pourtant, nous avons la preuve qu’Homo erectus vivait plus au nord que ce qui avait été documenté auparavant à cette période précoce », explique Herries dans un communiqué.
Dans cette même lancée, le professeur estime que cela va permettre de mieux comprendre la première dispersion de l’ancêtre de l’homme ainsi que la façon dont l’Europe a été progressivement habitée par les premiers représentants des hominidés.
Compréhension de la migration humaine : le voile se lève
L’histoire de l’évolution de l’humanité a jusqu’ici été dans le flou et présentait de nombreuses lacunes. Cependant, au cours des dernières années, des éléments sont venus peu à peu reconstituer les pièces manquantes du puzzle. Pour commencer, il y a les empreintes de pas datant de 100 000 ans environ mises au jour à Larache (au Maroc). Ensuite, nous pouvons citer la découverte d’outils sur le site de Korolevo, suggérant qu’Homo sapiens a probablement migré à travers l’Asie il y a 1,8 million d’années avant de rejoindre l’Europe il y a 1,4 million d’années. Selon Herries, la dispersion de l’humanité est loin d’être un récit linéaire avec un seul point de départ, un berceau unique localisé dans une seule partie du monde. Il soutient plutôt que l’histoire est bien plus compliquée que cela.
1,4 million d’années : comment aboutir à une datation aussi précise ?
C’est la question que les passionnées et d’autres chercheurs se posent, compte tenu des caractéristiques du site de Korolevo. En effet, il s’étend sur une profondeur de 14 mètres et présente des couches accumulées desquelles des milliers d’objets ont été excavés. Ces derniers, jusqu’ici, datent de plusieurs millénaires seulement et d’après les recherches, le site a connu au moins sept périodes d’occupation par des hominidés. La méthode habituelle de datation par radiocarbone pour la matière organique (située à proximité) a notamment été exclue, étant donné l’absence de véritables vestiges biologiques sur le site. Ainsi, au cours des décennies suivant la découverte de ces outils, même l’estimation de leur âge exact était impossible. Jusqu’à aujourd’hui.
Une technique de datation révolutionnaire
C’est ce que l’équipe, dirigée par l’archéologue Roman Garba de l’Académie tchèque des sciences, a pu exploiter. « Pour répondre aux questions posées par l’archéologie et l’anthropologie, nous devons utiliser les méthodes de la physique nucléaire et de la géophysique », explique Garba. Cette technique se base sur l’usage de rayons cosmiques et la mesure des désintégrations de certains noyaux atomiques des matériaux exposés à la surface. Ainsi, il est désormais possible de déterminer avec précision le temps écoulé depuis que l’objet a été exposé pour la dernière fois.
« Nous avons spécifiquement mesuré les concentrations des nucléides cosmogéniques béryllium-10 et aluminium-26, qui ont des demi-vies différentes. Le rapport entre les deux varie en fonction de la durée d’enfouissement des clastes sous la surface du sol. Cela nous permet de calculer leur âge depuis leur enfouissement », poursuit Garba. Il s’agit de la toute première fois que cette méthode a été utilisée dans le cadre d’une datation archéologique.
Cette recherche, menée par l’équipe de Garba, constitue un pas de plus vers la compréhension des premières migrations humaines en Europe. « Il reste à voir si cela faisait partie d’une occupation plus étendue, et pas encore découverte, de l’Europe à cette époque », déclare Andy Herries.