Des chercheurs s’inquiètent des progrès de la neurotechnologie et des défis éthiques associés, notamment le risque d’atteinte à la liberté cognitive. Ils soulignent l’urgence d’établir des protections légales pour préserver notre autonomie mentale face à l’accès potentiel à nos pensées. L’appel à la reconnaissance de la liberté cognitive comme un nouveau droit humain est présenté comme une solution clé.
La neurotechnologie, un champ d’étude qui fusionne la neuroscience et la technologie, a fait des progrès remarquables ces dernières années. Ce domaine technologique, qui permet une interaction sans précédent entre le cerveau humain et les machines, est désormais au cœur de débats éthiques et juridiques. Alors que nous nous dirigeons vers une réalité où nos pensées pourraient être lues et manipulées, la question de la liberté cognitive devient cruciale.
Récemment, un article paru dans la revue Nature met en lumière les enjeux de la protection de notre autonomie mentale face à l’accès potentiel des entreprises et des gouvernements à nos données cérébrales. Les implications sont vastes, touchant à des domaines aussi variés que le droit, la santé, l’éthique et la technologie. Le 13 juillet, des neuroscientifiques, des éthiciens et des ministres du gouvernement ont débattu à ce sujet lors d’une réunion à Paris organisée par l’UNESCO, l’agence scientifique et culturelle des Nations Unies.
Les implications éthiques de la neurotechnologie
La vie privée est un droit fondamental, et la possibilité que nos pensées puissent être lues et analysées sans notre consentement par une quelconque technologie largement répandue constitue déjà une violation de ce droit. Cela pourrait conduire à des situations où nos pensées et nos sentiments les plus intimes sont exposés sans notre consentement, ce qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur notre bien-être psychologique.
Rafael Yuste, neuroscientifique à l’Université Columbia de New York, a déclaré lors de la réunion qu’une analyse non publiée de la Neurorights Foundation, qu’il a cofondée, a révélé que 18 entreprises proposant des neurotechnologies grand public ont des termes et conditions qui obligent les utilisateurs à donner à l’entreprise la propriété de leurs données cérébrales. Toutes ces entreprises, sauf une, se réservent le droit de partager ces données avec des tiers. Il conclut : « Je décrirais cela comme prédateur ».
De plus, la liberté de pensée est un pilier de nos sociétés démocratiques. Si nos pensées peuvent être surveillées, cela pourrait nous dissuader de penser librement et de manière critique, ce qui est essentiel pour une société saine et dynamique.
Enfin, l’impact sur le système de justice pourrait être profond. Si nos pensées peuvent être lues, cela pourrait être utilisé comme preuve dans les procès, et ainsi conduire à des situations où les gens pourraient être jugés non pas sur la base de leurs actions, mais sur la base de leurs pensées ou de leurs intentions présumées.
La bataille pour la liberté cognitive
Face à ces défis éthiques et juridiques, le concept de « liberté cognitive » a émergé comme un moyen de protéger l’autonomie de nos pensées et de notre identité. La liberté cognitive est le droit de contrôler et de protéger nos propres processus mentaux, y compris nos pensées, nos souvenirs et nos perceptions.
La professeure Nita Farahany, une éminente éthicienne juridique spécialisée en neuroscience, est l’une des principales voix qui défendent ce concept. Elle soutient que, tout comme nous avons des protections pour d’autres aspects de notre liberté personnelle, comme la liberté d’expression et le droit à la vie privée, nous devrions également avoir des protections pour notre cerveau.
Les menaces à la liberté cognitive
Les menaces à la liberté cognitive ne sont pas simplement théoriques, elles sont déjà présentes et se développent rapidement. Les entreprises et les gouvernements ont de plus en plus accès à des technologies qui peuvent lire et interpréter les signaux de notre cerveau. Ces données cérébrales, qui peuvent révéler nos pensées, nos sentiments et même nos intentions, peuvent être utilisées à des fins qui ne sont pas nécessairement dans notre intérêt.
Certaines entreprises utilisent déjà la neurotechnologie pour surveiller la productivité de leurs employés. En Chine, certains travailleurs sont déjà contraints de porter des capteurs EEG qui surveillent leur activité cérébrale pendant qu’ils travaillent. Ces données sont ensuite analysées pour évaluer leur productivité et leurs états émotionnels. Bien que cela puisse aider à améliorer l’efficacité, cela soulève des questions éthiques importantes sur le droit à la vie privée et la liberté de pensée.
Cette même technologie pourrait être utilisée afin d’identifier des dissidents politiques ou pour prédire et prévenir des comportements criminels. Bien que cela puisse sembler bénéfique en surface, cela pourrait conduire à des abus de pouvoir et à une violation de nos droits fondamentaux. Ces exemples montrent que les menaces à la liberté cognitive sont réelles et imminentes. Il est donc crucial de mettre en place des protections pour préserver notre autonomie mentale et nos droits fondamentaux.
L’appel à l’action
Face à l’urgence de ces défis, des actions concrètes sont nécessaires. Farahany et d’autres experts de la neuroéthique appellent à l’établissement de lois spécifiques sur les « droits neurologiques ». Ces lois viseraient à protéger les individus contre l’utilisation abusive de leurs données cérébrales, en particulier dans les contextes de santé et juridiques.
Yuste et ses collègues proposent cinq neurodroits principaux : le droit à la vie privée mentale ; la protection contre les manipulations modifiant la personnalité ; le libre arbitre et la prise de décision ; un accès équitable à l’augmentation mentale ; et la protection contre les biais dans les algorithmes, qui sont au cœur de la neurotechnologie.
En outre, Farahany et d’autres plaident pour la reconnaissance de la liberté cognitive comme un nouveau droit humain. La liberté cognitive, définie comme le droit de contrôler et de protéger nos propres processus mentaux, serait un pilier essentiel pour protéger nos droits fondamentaux à l’ère de la neurotechnologie.