L’humanité rêve de pouvoir un jour facilement voyager dans le système solaire et bien au-delà. Les lois de la physique limitent malheureusement la vitesse à laquelle nous pouvons nous déplacer dans l’Univers. Un espoir demeure cependant du côté de la métrique d’Alcubierre, qui permettrait de voyager plus vite que la lumière sans violer le principe de la relativité — une théorie explorée depuis des années par un ancien chercheur de la NASA, le Dr Harold « Sonny » White.
Harold White a longuement travaillé au développement d’un moteur à distorsion (fonctionnant sur la métrique d’Alcubierre) lorsqu’il travaillait à l’Advanced Propulsion Physics Research Laboratory de la NASA. En 2020, il a fondé avec l’ancien astronaute Brian Kelly le Limitless Space Institute (LSI), une organisation à but non lucratif, dont la mission est « d’inspirer et éduquer la prochaine génération à voyager au-delà de notre système solaire et soutenir la recherche et le développement de technologies habilitantes ».
L’organisation, qui bénéficie d’un soutien de plus en plus important, dispose aujourd’hui des ressources nécessaires pour accorder des bourses de recherche aux écoles et universités — ces financements vont de moins de 100 000 dollars à des bourses postdoctorales de deux ans de plus de 90 000 dollars par an. Plusieurs grands noms du secteur aérospatial, dont plusieurs astronautes retraités, ont déjà rejoint l’organisation. Gwynne Shotwell, directrice des opérations de SpaceX, a récemment rejoint l’institut en tant que conseillère indépendante.
Un concept de plus en plus plausible
Si l’institut dispose aujourd’hui d’un soutien financier a priori confortable, le concept du moteur à distorsion reste à ce jour du domaine de la science-fiction. Selon la théorie de la relativité, la vitesse de la lumière est constante et absolue, et les objets qui s’en approchent connaissent une augmentation de leur masse inertielle ; par conséquent, il faudrait une quantité d’énergie extrême pour continuer à accélérer.
La métrique d’Alcubierre — du nom du physicien théoricien mexicain Miguel Alcubierre, qui l’a proposée en 1994 — implique quant à elle une déformation de l’espace-temps, qui se contracterait dans une direction et se dilaterait dans l’autre. « Par une expansion purement locale de l’espace-temps derrière le vaisseau spatial et une contraction opposée devant lui, un mouvement plus rapide que la vitesse de la lumière vue par les observateurs à l’extérieur de la région perturbée est possible », écrit le physicien dans son article sur le moteur à distorsion.
Ainsi, en théorie, un moteur basé sur ce modèle permettrait à un vaisseau de se déplacer à des vitesses supraluminiques dans cette distorsion tout en respectant les lois de la physique. Cependant, comme l’a conclu Alcubierre lui-même, ce concept nécessite une densité d’énergie inférieure à celle du vide de l’espace — soit une masse négative, d’une matière « exotique » dont l’existence reste purement théorique.
Alors que les recherches d’Alcubierre prédisaient une quantité de masse négative incommensurable (équivalente à la masse de Jupiter !), dépassant tout ce que l’humanité peut créer, une révision de ses calculs par le Dr White en 2011 a finalement abouti à une quantité plus « raisonnable ». Pour ce faire, il a reconsidéré le paramètre « d’épaisseur de coque » de la bulle de distorsion : une coque de distorsion plus épaisse réduirait la pression sur l’espace-temps, permettant à un vaisseau spatial d’atteindre des vitesses allant jusqu’à 10 fois la vitesse de la lumière en utilisant seulement deux tonnes métriques de matière exotique. Le moteur à distorsion devenait dès lors plus concevable.
Un programme de recherche en trois étapes
Reste à trouver le moyen de générer de l’énergie négative dans le vide. C’est un peu la raison d’être du LSI, qui poursuit le rêve de permettre à l’humanité d’effectuer des voyages spatiaux longue distance en un temps raisonnable. Pour développer cette physique encore inconnue, le LSI a adopté un plan de recherche en trois étapes, impliquant différents types de propulsion de plus en plus avancés : 1) la propulsion électrique nucléaire, 2) la propulsion électrique par fusion et 3) le Warp drive.
La propulsion électrique nucléaire (NEP) — déjà largement étudiée par la NASA et d’autres agences spatiales pour leurs futurs objectifs d’exploration — repose sur des propulseurs à effet Hall, qui ionisent des gaz inertes pour créer un plasma chargé, utilisé pour générer la propulsion. Le concept, qui repose sur une physique bien connue, a déjà fait ses preuves à travers diverses expérimentations. White et ses collègues travaillent sur un moteur NEP capable de générer une puissance de 2 à 50 MW, qui permettrait un transit rapide vers le système solaire externe.
Visiter d’autres systèmes stellaires, notamment celui de Proxima Centauri (Proxima du Centaure), nécessitera en revanche bien plus de puissance, que seule la propulsion électrique par fusion (FEP) est susceptible de fournir. « Au lieu de fission et d’uranium, nous utilisons du deutérium et du tritium ou une combinaison de gaz que nous pourrions fusionner à des températures très élevées lorsqu’ils sont sous la forme d’un plasma », explique White. Un tel moteur pourrait fournir une puissance comprise entre 50 et 500 MW et nous mener à Proxima Centauri en une centaine d’années. Pour réduire encore le temps de voyage, il faut trouver le moyen de relier la relativité et la mécanique quantique, soit trouver une « théorie du tout ».
Les activités du LSI et de ses partenaires (la NASA, le MIT, l’Université A&M du Texas), de même que son programme de subventions visant à favoriser la recherche sur l’exploration spatiale, pourraient mener à des percées majeures, qui nous rapprocheraient de l’objectif plus rapidement que prévu. « Établir la capacité d’envoyer des êtres humains vers toutes les destinations du système solaire – pensez-y ! Disposer de tout un système solaire de matériaux et de ressources changerait le concept même de rareté », a déclaré White à Universe Today, ajoutant qu’avoir cette capacité implique que notre planète sera nécessairement dans une position très différente en ce qui concerne la production et l’utilisation de l’énergie. Voyager au-delà des frontières de notre système solaire pourrait donc être un moyen de préserver notre propre planète.