Une étude menée sur près de 1000 personnes révèle que celles ayant été infectées par le virus Herpes simplex (HSV) sont deux fois plus susceptibles de développer une démence. Cette corrélation serait uniquement liée à la présence d’anticorps anti-HSV et non à leur quantité dans l’organisme. Ces résultats s’ajoutent à des arguments croissants en faveur d’une association entre le virus et la démence et pourraient potentiellement ouvrir la voie à de nouvelles stratégies de prévention.
L’herpès est une infection très courante affectant une grande portion de la population mondiale. Si les infections sont généralement asymptomatiques, elles sont permanentes, et les symptômes peuvent réapparaître et disparaître tout au long de la vie. Les deux espèces virales, HSV1 et HSV2 (collectivement désignées HSV), sont respectivement associées à une infection orofaciale ou labiale (se manifestant par des « boutons de fièvre ») et génitale.
On estime que 3,7 milliards (67 %) de personnes de moins de 50 ans sont infectées par le HSV1 dans le monde, tandis que 491 millions (11 %) ont contracté le HSV2. Bien que l’étiologie de la démence ne soit pas encore bien établie, des preuves croissantes montrent une implication du HSV et d’autres virus. Cependant, les études qui y sont consacrées montrent parfois des résultats contradictoires.
Des résultats contradictoires
La source de contradiction dans les précédentes études réside principalement dans la détection d’immunoglobuline G et M (IgG et IgM) liée à l’infection au virus. L’IgM est le premier anticorps sécrété par le système immunitaire en réponse à l’exposition à un corps étranger, tandis que l’IgG est plus spécifiquement associé aux bactéries et aux virus. Des taux élevés de ces anticorps indiquent une réactivation fréquente de l’infection.
Des recherches antérieures ont suggéré que le risque de démence ou d’Alzheimer (la forme de démence la plus fréquente) est associé à la présence d’IgG et d’IgM ainsi qu’au niveau d’IgG anti-HSV. Le HSV-1 serait le plus étroitement impliqué au risque de démence. En outre, une étroite corrélation entre l’infection à HSV et l’apolipoprotéine E4 (APOE4) — le gène lié à Alzheimer — a été observée. L’infection au virus serait également liée à une diminution des performances cognitives. D’autres recherches ont également montré que certains traitements anti-HSV ont permis d’atténuer les risques d’Alzheimer de 70 % chez les personnes positives aux IgG anti-HSV-1.
Cependant, d’autres études (des méta-analyses notamment) n’ont montré aucune association entre la présence et les niveaux d’immunoglobulines et la démence ni aucun effet d’interaction entre le virus et le gène APOE4, bien que des résultats hétérogènes concernant la capacité du traitement anti-HSV à diminuer le risque de démence chez les personnes infectées aient été obtenus pour certaines.
Récemment, des chercheurs de l’Université d’Uppsala (en Suède) ont proposé de mettre fin au débat en apportant de nouvelles preuves robustes de l’implication du virus dans la démence. Ils estiment notamment que les précédentes études suggérant une absence de lien n’ont peut-être pas pris certaines variables clés en compte, telles que l’âge — qui est un indicateur essentiel dans la prévalence de la démence. « La particularité de cette étude est que les participants ont à peu près tous le même âge, ce qui rend les résultats encore plus fiables, car les différences d’âge – liées au développement de la démence – peuvent fausser les résultats », explique dans un communiqué l’auteure principale de l’étude, Erika Vestin, de l’Université d’Uppsala.
Une association liée à la présence (et non aux niveaux) d’anticorps anti-HSV
La nouvelle étude — publiée dans le Journal of Alzheimer’s Disease — concerne 1002 Suédois âgés de 70 ans qui ne présentaient initialement pas de démence et qui ont été suivis pendant 15 ans. Des échantillons de sang ont été prélevés pour détecter les IgG anti-HSV et anti-HSV-1, l’IgG anti-cytomégalovirus (CMV) ainsi que l’IgM anti-HSV et anti-CMV. Le CMV est un autre herpèsvirus dont l’association avec le risque de démence a été étudiée. Les données de diagnostic et les prescriptions médicamenteuses ont été collectées à partir des dossiers médicaux.
Au cours de l’étude, 7 % des participants ont développé une démence (tous types confondus) et 4 % ont développé Alzheimer. Parmi ces participants, 82 % étaient porteurs d’IgG anti-HSV et 6 % ont reçu un traitement antiviral. Les chercheurs ont ainsi calculé que les personnes positives aux IgG anti-HSV avaient deux fois plus de risque de développer une démence.
Cependant, aucune association significative n’a été relevée pour Alzheimer spécifiquement, même si le rapport de risque (une mesure indiquant la fréquence à laquelle un événement particulier se produit dans un groupe par rapport à un autre) était comparable à la démence en général. D’autre part, les niveaux d’IgM anti-HSV et d’IgG anti-CMV, ainsi que la prise de traitement anti-HSV, ne sont pas associés au risque de démence ou d’Alzheimer selon les résultats. En outre, il n’y a pas non plus de corrélation évidente entre la prévalence des IgG anti-HSV et anti-CMV et la présence d’APOE4.
Les chercheurs en ont conclut que la présence (plutôt que les niveaux) d’IgG anti-HSV est positivement associée au risque de démence. D’autre part, le CMV n’est pas impliqué dans la prévalence de la démence, selon ces résultats. « Il est passionnant que les résultats confirment les études précédentes. De plus en plus de preuves émergent d’études qui, comme nos conclusions, désignent le virus de l’herpès simplex comme un facteur de risque de démence », estime Vestin.
Toutefois, les experts ont précisé que la faible prévalence d’Alzheimer pourrait avoir réduit la puissance statistique permettant de détecter des associations précises, sans compter que l’étude est uniquement observationnelle. Bien que leurs résultats suggèrent que le virus ne semble pas interagir avec APOE4, des recherches supplémentaires et des essais contrôlés randomisés seront nécessaires pour explorer davantage les corrélations potentielles.
Cela permettrait également de déterminer si les médicaments anti-HSV peuvent véritablement contribuer à prévenir la démence. De potentielles stratégies vaccinales pourraient également être étudiées. « Les résultats pourraient pousser la recherche sur la démence à traiter la maladie à un stade précoce en utilisant des médicaments anti-herpès courants ou à prévenir la maladie avant qu’elle ne survienne », conclut Vestin.