En juillet 2016, un louveteau femelle a été découvert dans le pergélisol canadien par un chercheur d’or, extrêmement bien préservé. Aujourd’hui, après des analyses rigoureuses, le spécimen — dont l’âge a été estimé à 57’000 ans — commence enfin à livrer ses secrets. Les études ont notamment permis d’en savoir plus sur les circonstances ayant conduit à la mort de l’animal.
« C’est le spécimen de loup le plus complet jamais trouvé depuis l’ère glaciaire », déclare avec enthousiasme l’auteure principale de l’étude, Julie Meachen, professeure associée d’anatomie à l’université Des Moines dans l’Iowa. « Tous ses tissus mous, ses poils, sa peau, et même son petit nez, sont encore là. Elle est tout simplement complète. Et c’est vraiment rare ».
Plusieurs types d’analyses — dont la datation au radiocarbone, l’échantillonnage de l’ADN et la mesure des niveaux de différentes versions, ou isotopes, de l’oxygène — ont permis d’en savoir plus sur la mort du louveteau. Les radiographies du squelette et des dents ont également révélé que la petite louve, baptisée Zhùr (qui signifie « loup » dans la langue Hän du peuple indien local Tr’ondëk Hwëch’in) n’avait que 7 semaines lorsque sa vie a prématurément pris fin. L’étude a été publiée le 21 décembre dans la revue Current Biology.
Il s’agit d’une louve grise (Canis lupus), initialement découverte par un chercheur d’or en juillet 2016, lorsqu’il creusait dans le pergélisol au Yukon, au Canada, dans les champs aurifères du Klondike près de Dawson City. En plus d’être le spécimen de loup le plus complet de l’ère glaciaire jamais découvert, Zhùr est devenue particulièrement importante pour les chercheurs, car elle a été découverte en Amérique du Nord.
Un régime alimentaire variable
« Ces types de spécimens peuvent être assez communs en Sibérie, mais ils sont beaucoup plus difficiles à atteindre que les restes trouvés au Yukon », déclare Meachen. « En tant que tels, les restes étaient beaucoup plus faciles d’accès et à étudier, et ils ont également fourni une rare occasion de voir d’où venaient les loups d’Amérique du Nord », ajoute-t-elle.
Meachen et ses collègues ont reconstruit le génome mitochondrial de Zhùr (le génome trouvé dans les structures de production d’énergie des cellules, appelées mitochondries et qui se transmettent le long de la lignée maternelle) en trouvant des similitudes avec les loups béringiens, un groupe éteint qui vivait dans l’ancien Yukon et en Alaska, et les loups gris russes. La relation du louveteau avec des individus d’Amérique du Nord et d’Eurasie est la preuve d’un ancien mélange continental par le pont terrestre de Béring, un ancien pont terrestre qui reliait autrefois l’Alaska et la Russie, ont déclaré les chercheurs.
Le fait de bénéficier d’un tel spécimen intact à étudier a également offert aux chercheurs l’occasion d’examiner ce que mangeaient les loups de l’ère glaciaire. « Quand j’ai regardé les rayons X et que j’ai pu voir ses intestins, cela m’a donné un peu de frissons », déclare Meachen. « Je n’avais jamais vu d’intestins de 57’000 ans auparavant ». Bien qu’en fin de compte, c’est l’analyse des os, et non du contenu de son estomac, qui a permis à l’équipe de reconstituer le régime alimentaire de Zhùr.
Les chercheurs ont déterminé que pendant sa courte vie, Zhùr s’est nourrie principalement d’animaux marins, comme le saumon Chinook, qui fraie actuellement dans la rivière Klondike. Ce n’est pas rare chez les loups modernes, dont on a montré qu’ils passaient de façon saisonnière à un régime aquatique en Alaska. Cependant, les scientifiques avaient supposé que les loups du Yukon auraient principalement mangé du bison ou des bœufs musqués pendant la période glaciaire.
Une triste fin
L’un des plus grands mystères qui subsistent autour de Zhùr est de savoir comment elle a été « momifiée » ainsi, et pourquoi elle s’est retrouvée seule. Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’elle a été tuée lorsque son terrier s’est effondré sur elle. Cela expliquerait pourquoi les restes sont si parfaitement préservés, car ils auraient été instantanément ensevelis dans un environnement froid, sec et plus ou moins étanche.
Mais si elle est morte de cette façon, on peut se demander où était le reste de sa famille à ce moment-là. Compte tenu de son âge, il semble peu probable qu’elle soit allée dans le terrier sans sa mère ou ses frères et sœurs. « Peut-être que la mère et les frères et soeurs étaient à l’extérieur du terrier quand il s’est effondré, et c’est pourquoi Zhùr a été laissée seule à l’intérieur », explique Meachen. « Il est possible qu’elle ait été l’unique progéniture à ce moment-là, mais ce serait rare… D’habitude, les loups ont plusieurs petits à la fois », précise-t-elle.
À l’avenir, des découvertes comme celle-ci pourraient devenir plus courantes, à mesure que la planète se réchauffe et que le pergélisol solide commence à dégeler et à divulguer ses secrets enfouis. « Nous sommes toujours excités lorsque nous faisons ce genre des découvertes », déclare Meachen, « mais c’est une indication que le monde se réchauffe, et ce n’est pas bon pour notre environnement ».
L’extraordinaire préservation de Zhùr nécessite des conditions taphonomiques spécifiques. Bien que les carcasses fossiles momifiées de grands mammifères soient rares en Alaska et au Yukon, les momies complètes ou presque complètes de mammifères de petite et moyenne taille, y compris les écureuils terrestres arctiques et les putois à pieds noirs, mettent en évidence ce processus taphonomique unique, expliquent les chercheurs dans l’étude. Ils suggèrent donc que les animaux qui utilisaient des terriers ou des tanières, comme les loups, se retrouvent probablement plus souvent momifiés.