En simulant l’interaction entre trois puissants lasers dans le vide, des physiciens ont confirmé qu’ils provoquaient un rebond de photons et généraient un quatrième faisceau — un phénomène surnommé « lumière provenant de l’obscurité », prédit de longue date par l’électrodynamique quantique. L’interaction modifierait le vide quantique au point que les photons se heurtent entre eux, tels des boules de billard, concentrant ainsi un rayon supplémentaire.
L’une des prédictions majeures de l’électrodynamique quantique concerne la nature du vide. Là où la physique classique le considère comme un espace véritablement vide, la physique quantique démontre qu’il est traversé en permanence par des fluctuations d’énergie, d’où naissent brièvement des paires de particules virtuelles, électron et positon.
Ces particules apparaissent et disparaissent spontanément selon les conditions physiques locales, un processus connu sous le nom de « modification du vide quantique ». La propagation d’impulsions laser ou de champs électromagnétiques de forte intensité dans le vide provoque alors des altérations mesurables de ce dernier, en interagissant avec les particules virtuelles.
Des théoriciens ont avancé l’idée que cette modification pourrait donner lieu à la formation d’un faisceau lumineux inédit — d’où le surnom informel et poétique de « lumière provenant de l’obscurité ». Plus précisément, l’interaction entre plusieurs faisceaux lasers, à condition qu’ils soient suffisamment puissants, pourrait faire émerger un quatrième rayon issu du vide lui-même. Une hypothèse restée jusqu’ici difficile à vérifier expérimentalement, faute d’équipements laser capables de produire de telles intensités.
Des chercheurs de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, et de l’Université de Lisbonne, au Portugal, ont contourné cet obstacle en recourant à une simulation numérique avancée, modélisant le phénomène en temps réel et en trois dimensions. « Il ne s’agit pas seulement d’une curiosité académique – c’est une étape majeure vers la confirmation expérimentale des effets quantiques, jusqu’à présent cantonnés au domaine théorique », souligne dans un communiqué de l’Université d’Oxford Peter Norreys, professeur au Département de physique de l’université et coauteur de l’étude.
Des interactions du vide quantique jusqu’ici inaccessibles
L’expérience modélisée par l’équipe, détaillée dans la revue Communications Physics, repose sur le phénomène dit de « mélange à quatre ondes dans le vide ». L’hypothèse postule que le champ électromagnétique conjugué de trois impulsions laser focalisées et d’intensité élevée peut polariser les paires électron-positon présentes dans le vide. Cela provoque la collision des photons entre eux, entraînant la formation d’un quatrième faisceau laser.
Les simulations ont été réalisées à l’aide d’une version optimisée d’OSIRIS, un logiciel dédié à la modélisation des interactions laser-matière ou plasma.
« Notre programme informatique nous offre une fenêtre 3D résolue dans le temps sur les interactions du vide quantique, jusqu’alors inaccessibles », explique Zixin Zhang, doctorant au Département de physique de l’Université d’Oxford et auteur principal de l’étude. D’après lui, ce logiciel permettrait d’identifier avec précision les signatures quantiques générées, les lieux d’interaction et les échelles temporelles pertinentes.
Comme attendu, les simulations ont confirmé la formation d’un quatrième faisceau, conformément aux prédictions théoriques. Bien que ces résultats demeurent numériques, ils constituent une description réaliste du phénomène et fournissent des repères essentiels pour les futures expériences : formes optimales des impulsions, durée, angle d’interaction, etc.
Cette avancée survient alors que plusieurs infrastructures de nouvelle génération s’apprêtent à entrer en service. Ainsi, la diffusion photon-photon figure déjà parmi les expériences prioritaires de l’installation OPAL à double faisceau de l’Université de Rochester, aux États-Unis, qui devrait atteindre une puissance de 25 pétawatts.
Des dispositifs tels que le Vulcan 20-20 britannique, le projet européen Extreme Light Infrastructure (ELI) ou encore les installations chinoises Station for Extreme Light (SEL) et SHINE, doivent eux aussi fournir des niveaux de puissance suffisants pour permettre de tester cette interaction. L’installation ELI a déjà franchi le seuil des 10 pétawatts lors de tirs laser ultra-courts, tandis que le projet SEL vise un objectif de 100 pétawatts d’ici à la fin de l’année — une ambition qui, si elle se concrétise, repoussera les limites de l’expérimentation laser.
Une voie potentielle vers la matière noire ?
Les chercheurs entrevoient aussi d’autres perspectives. « Après avoir soigneusement évalué la simulation, nous pouvons désormais explorer des scénarios plus complexes, comme des structures de faisceaux laser exotiques ou des impulsions à focalisation variable », avance Zixin Zhang.
À terme, ces expériences pourraient également aider à détecter des particules encore hypothétiques, comme les axions ou les particules millichargées, toutes deux considérées comme des candidates potentielles à la matière noire.
« La combinaison de lasers ultra-intenses, de systèmes de détection de pointe et de modélisations à la fois analytiques et numériques constitue le socle d’une nouvelle ère dans l’étude des interactions entre laser et matière. Elle ouvrira des horizons inédits à la physique fondamentale », conclut Luis Silva, chercheur à l’Instituto Superior Técnico de l’Université de Lisbonne et professeur invité à l’Université d’Oxford, coauteur de l’étude.