Une monnaie « quantique »… Ce concept nébuleux au premier abord fait l’objet de recherches bien tangibles. Et pour cause : la création d’une telle monnaie pourrait permettre d’accéder à une devise infalsifiable. Des chercheurs de NTT Research ont récemment publié leurs avancées sur le sujet. Ces dernières s’appuient sur la fameuse « théorie des nœuds ».
Cela fait maintenant déjà quelques années que des chercheurs se penchent très sérieusement sur la création d’une « monnaie quantique ». Dans les années 1970, le physicien Stephen Wiesner avait même déjà évoqué cette idée. Mais de quoi s’agit-il, exactement ? Pour mieux comprendre la notion de monnaie quantique, il faut rappeler ce qu’est l’informatique quantique.
Le principe d’un ordinateur quantique est de réaliser des calculs en s’appuyant sur les principes de physique quantique. La physique quantique peut se résumer grossièrement comme la science qui s’intéresse au comportement de la matière et de la lumière à un niveau microscopique, ou atomique. En effet, les premiers scientifiques qui se sont penchés sur l’étude de cette échelle ont remarqué que la matière s’y comporte selon des principes physiques très différents de ce que l’on connaissait jusqu’alors.
Parmi ces principes, on recense la « superposition quantique », clef de fonctionnement des ordinateurs quantiques. Concrètement, la superposition quantique pourrait se résumer comme le fait que quelque chose puisse être « dans deux états en même temps ». Dans le cas d’un ordinateur classique, l’unité d’information de base est le « bit ». Celui-ci peut se trouver soit à l’état « 0 », soit à l’état « 1 ». Dans un ordinateur quantique on trouve donc une sorte d’équivalent, appelé « qubit ». À la différence que grâce à la fameuse loi de superposition, en plus de ces deux états simples, les qubits peuvent en quelque sorte être à la fois 0 et 1, et même se situer dans des états entre les deux, comme 01, 10, 11… Cela leur permet de déployer une puissance de calcul phénoménale : c’est ce qui suscite tant d’intérêt pour les ordinateurs quantiques.
Comment en vient-on à la monnaie quantique ? En 2018, le CNRS avait déjà fait des recherches pour développer une monnaie quantique. Sur leur site, on en trouve donc une explication simplifiée : « En gros, on excite des atomes avec des photons. Ceux-ci changent d’état, ce qui correspond à un code. Puis on les ré-excite lorsque l’on veut récupérer ce code. À l’arrivée : impossible d’utiliser deux cartes bancaires avec les mêmes numéros », affirme l’institution. Car les fameux « qubits » sont en effet des atomes, que l’on « piège » par diverses méthodes et qu’on pousse à interagir entre eux.
De nouvelles clefs de cryptage à trouver
On ne parle donc évidemment pas ici de monnaie sonnante et trébuchante, mais bien de « codes » extrêmement difficiles à décrypter : tellement qu’il serait possible d’en faire une devise très sécurisée. Comme le mentionnait le CNRS à l’époque, ces recherches pourraient s’avérer être une nécessité, à cause, justement, des ordinateurs quantiques. Grâce à leur très grande puissance de calcul, ils pourraient un jour être capables de déchiffrer nos systèmes de chiffrement actuels, dont celui utilisé pour les données bancaires par exemple. Récemment, nous évoquions justement dans un article les recherches d’une équipe de scientifiques. Celle-ci affirme avoir déjà réussi à trouver un algorithme capable de réaliser cette prouesse sur les ordinateurs quantiques existants. Même si leurs confrères restent sceptiques, l’avis général reste tout de même qu’ils en seront certainement un jour capables : d’où la nécessité de nouvelles clefs de chiffrement.
C’est dans cette idée de monnaie quantique que s’inscrivent les recherches des scientifiques travaillant pour NTT Research. Dans leur modèle, ils ont décidé de s’appuyer sur la théorie des nœuds. Et, oui, on parle bien ici de l’équivalent des nœuds que l’on peut faire avec une corde ou une ficelle. Pour les plus intéressés, cet extrait de la vidéo de vulgarisation de Mickaël Launay parle très bien de ce domaine mathématique passionnant.
En effet, les nœuds posent aux scientifiques de nombreuses questions bien plus complexes qu’il n’y paraît. L’un de ces défis, qui nous intéresse particulièrement ici, est celui de leur « équivalence topologique ». En effet, les nœuds sont considérés « aux déformations continues près », c’est-à-dire qu’un nœud est considéré comme équivalent à un autre selon certains critères qui excluent le relâchement, le positionnement, etc.
Des nœuds comme méthode de vérification de la monnaie quantique
Pour faire simple, un nœud de huit posé de travers et lâche reste un nœud de huit, même s’il est apparemment très différent d’un beau nœud de huit bien serré sur lui-même. Or, déterminer si un nœud peut être « réarrangé » (resserrer le nœud de huit, dans cet exemple) pour ressembler à un autre, n’est pas si facile à calculer, même pour un ordinateur quantique.
Pour déterminer mathématiquement, de façon certaine, si un nœud est équivalent à un autre, les scientifiques ont recherché ce qu’on appelle des « invariants » : des critères toujours valables pour un type de nœud, qui permettent de les distinguer les uns des autres. Autrement dit, le calcul des invariants donne forcément le même résultat pour deux nœuds équivalents, ce qui permet de savoir qu’ils le sont même s’ils sont représentés différemment.
Mark Zhandry et ses collègues ont donc proposé un système monétaire quantique où le calcul de ces invariants, pour les nœuds et les problèmes de classification similaires, est la base pour vérifier que l’argent est authentique. Dans leur système, chaque unité monétaire comprend une série de qubits, chacun avec un nœud correspondant, ainsi qu’une liste des invariants présents. Un élément clé de la vérification consiste à analyser si les qubits et leurs invariants correspondent. Le principe est assez simple, mais il est impossible de proposer une autre liste de nœuds qui correspondraient également — et donc de falsifier cette « monnaie ».
De plus, faire une copie directe de la monnaie quantique s’avérerait impossible en vertu de la loi de « non clonage ». En résumé si quelqu’un apprenait suffisamment d’informations sur la monnaie quantique pour la dupliquer, les qubits changeraient tellement dans le processus qu’ils deviendraient inutilisables.
Toutefois, la mise en application d’une telle monnaie requiert de nombreux calculs quantiques, sur des ordinateurs très puissants. Il n’est donc pas certain que l’on puisse rapidement passer de la théorie à la pratique pour vous permettre de vous balader avec de l’argent quantique pour régler vos courses. Mais au moins, vous aurez appris des choses sur les nœuds.