Mars : des blocs de glace explosent et creusent d’étranges ravins

« J'avais l'impression de regarder les vers des sables du film Dune…»

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Ravins sinueux le long d'une dune de sable à Hellas Planitia. | NASA/JPL-Caltech/UArizona
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Une sublimation explosive de blocs de glace sèche de CO₂ serait à l’origine des étranges ravins sinueux qui se creusent à la surface des dunes de Mars à chaque printemps, selon de nouvelles expériences. Un coussin de gaz s’accumulerait sous les blocs lorsque le sable sous-jacent se réchauffe, accumulant une pression qui finirait par faire exploser la glace, la traînant sur plusieurs mètres et arrachant le sable sur son passage.

Des ravins sinueux se formant le long des dunes de sable de Mars, à moyenne latitude, à la fin de chaque hiver, intriguent les astronomes depuis leur découverte en 1999. Les premières hypothèses évoquaient un phénomène lié à l’écoulement d’eau, lorsque la glace hivernale fond. Cependant, des travaux antérieurs ont démontré que l’eau liquide ne peut aujourd’hui exister à la surface de Mars.

Des chercheurs avaient proposé en 2013 une explication alternative : la sublimation de glace carbonique (ou glace sèche), un passage direct de l’état solide à l’état gazeux, glissant le long des dunes. Des expériences menées l’année dernière par une équipe de l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas, ont montré que la sublimation de la glace de CO₂ peut creuser de profonds ravins sur les parois sableuses des cratères.

Cependant, la forme des ravins obtenus ne ressemblait pas à celle observée sur Mars. Ces derniers ne sont pas rectilignes, mais plutôt onduleux. « J’avais l’impression de regarder les vers des sables du film Dune », compare Lonneke Roelofs, du département de géographie physique de la faculté des géosciences de l’Université d’Utrecht, qui a dirigé les expériences menées l’an passé.

Dans le cadre d’une nouvelle étude récemment publiée dans Geophysical Research Letters, Roelofs et ses collègues sont parvenus à reproduire la forme des ravins martiens en ajustant les paramètres expérimentaux. « Nous avons effectué plusieurs essais en simulant une pente de dune avec différents angles d’inclinaison. Nous avons laissé tomber un bloc de glace de CO₂ du haut de la pente et observé le résultat », explique Simone Visschers, étudiante en master dans le département de Roelofs et coauteure de l’étude.

« Après avoir trouvé la pente idéale, nous avons enfin obtenu des résultats. Le bloc de glace de CO₂ a commencé à creuser la pente et à descendre, à la manière d’une taupe fouisseuse ou des vers des sables du film Dune. C’était vraiment étrange ! », raconte-t-elle.

Des réactions explosives qui sculptent le paysage

Pour mener leurs travaux, l’équipe néerlandaise a utilisé une salle spéciale — « la chambre martienne » — simulant les conditions de température et atmosphériques de la planète rouge. Les chercheurs y ont étudié la manière dont les blocs de glace carbonique peuvent glisser sur des pentes de sable. Ces blocs se forment pendant l’hiver martien, principalement à moyenne latitude dans l’hémisphère sud, lorsque la température chute à -120 °C. Certains atteignent un mètre de long et 70 centimètres d’épaisseur. À la fin de l’hiver, la glace se réchauffe et commence à se sublimer.

L’expérience a montré que la face inférieure de la glace se transforme directement en gaz en raison de la faible pression atmosphérique et du fort contraste thermique entre le sable et la glace. Les blocs, translucides, laissent passer les rayonnements optiques et infrarouges qui atteignent le sable en dessous. Ce dernier, plus sombre, absorbe davantage d’énergie et la réémet sous forme de rayonnement infrarouge (ou thermique). Ce rayonnement est piégé sous la glace, réchauffant sa face inférieure et accélérant la sublimation.

 

Comme une quantité donnée de gaz occupe plus de volume qu’une masse équivalente de glace, et que ce gaz n’a pas d’issue pour s’évacuer, la pression s’accumule sous le bloc jusqu’à provoquer une explosion. « Dans notre simulation, j’ai observé comment cette pression élevée du gaz projetait le sable autour du bloc dans toutes les directions », précise Roelofs. Après cette première explosion, le bloc s’enfonce dans la pente et se retrouve piégé dans un creux bordé de crêtes de sable tassé.

Une réaction en chaîne d’explosions successives déplace progressivement la glace — jusqu’à 13 mètres de distance — tant que la sublimation se poursuit. Les blocs laissent alors derrière eux de longs et sinueux ravins bordés de fines crêtes de sable. Une fois arrivés au pied de la pente, ils cessent de bouger mais continuent à se sublimer jusqu’à ce que tout le CO₂ se soit entièrement évaporé, ne laissant qu’une cavité vide.

En testant plusieurs angles d’inclinaison, l’équipe a constaté que, sur les pentes supérieures à 25°, la glace glisse sur un coussin de gaz en laissant une trace diffuse dans le sable. En revanche, lorsque la pente est inférieure à 22,5°, la glace s’enfonce partiellement dans le sable, formant alors une trajectoire de glissement sinueuse. Ce phénomène ne se produirait que sur des pentes composées de sable à grains fins.

À la prochaine étape, l’équipe prévoit de reproduire ses expériences avec des blocs de glace plus volumineux et différents types de sable afin de déterminer si les ravins peuvent se former dans d’autres conditions. « De plus, étudier la formation des structures paysagères sur d’autres planètes permet de sortir des cadres de réflexion terrestres. Cela conduit à poser des questions légèrement différentes, susceptibles d’offrir de nouvelles perspectives sur les processus géologiques à l’œuvre sur notre planète », conclut Roelofs.

Vidéo de présentation de l’étude :

Source : Geophysical Research Letters
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