Les marsupiaux seraient-ils les représentants d’un stade évolutif intermédiaire, entre les ovipares et les mammifères placentaires ? Une hypothèse désormais contestée. Selon une nouvelle étude, contrairement à la croyance populaire, ces animaux seraient très évolués et se placeraient même devant les placentaires dans la chronologie évolutive des mammifères.
Tous les mammifères partagent un ancêtre ovipare commun, qui aurait vécu sur Terre il y a environ 180 millions d’années. Les mammifères ont ensuite divergé il y a 160 millions d’années, selon les trois grands groupes que nous connaissons aujourd’hui : les mammifères placentaires, les marsupiaux et les monotrèmes. Ces groupes se distinguent par leurs modes de reproduction. Les monotrèmes, tels que les ornithorynques, sont ovipares, tandis que les deux autres clades sont vivipares.
Les mammifères placentaires donnent naissance à des portées entièrement développées, après une gestation plus ou moins longue, selon la taille de l’espèce. La musaraigne donne par exemple naissance à des petits de 0,2 gramme après 13 à 20 jours de gestation, tandis que l’éléphant d’Afrique pèse déjà plus de 90 kilogrammes à la naissance (après 660 jours de gestation).
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Par contre, les marsupiaux ont une période de gestation considérablement courte et mettent bas alors que leurs progénitures sont au stade embryonnaire. Chez les femelles kangourous roux par exemple, la mise bas s’effectue un mois après la fécondation, pour faire naître un petit à peine plus grand qu’un haricot ! À ce stade, les petits sont très vulnérables et nécessitent une longue période de nidification (jusqu’à 6 mois), dans la poche ventrale prévue à cet effet. Leurs membres postérieurs et leur museau sont juste assez développés pour pouvoir ramper jusqu’à cette poche et téter.
Ce singulier aspect de leur reproduction a incité les chercheurs à penser que les marsupiaux représentaient un stade évolutif intermédiaire, entre les mammifères ovipares et les placentaires. Par ailleurs, cette hypothèse découlerait d’une croyance selon laquelle notre groupe (les mammifères placentaires) serait forcément celui vers lequel l’évolution doit converger. La nouvelle étude, décrite dans Current Biology, conteste cette hypothèse et confirme même l’aspect non linéaire de la courbe de l’évolution des espèces.
Les résultats, présentés par des chercheurs du Muséum d’histoire naturelle d’Angleterre, révèlent que le mode de reproduction des marsupiaux est celui qui a subi le plus de changements au fil de l’évolution, par rapport à celui de leur ancêtre commun aux mammifères placentaires. « La reproduction des marsupiaux n’est pas une forme intermédiaire entre les mammifères pondeurs et placentaires. C’est juste une façon complètement différente de se reproduire que les marsupiaux ont développé », explique l’experte en biologie évolutive du Muséum d’histoire naturelle et coauteure principale de la nouvelle étude, Anjali Goswami. « Il s’avère que les marsupiaux sont beaucoup plus évolués par rapport à la forme ancestrale », ajoute-t-elle.
Une évolution non linéaire
La plupart d’entre nous comprennent l’évolution en la représentant selon une courbe linéaire, où les espèces évoluent selon une voie directe vers une plus grande complexité, et où celles aux traits plus anciens sont considérées comme plus primitives. Cependant, l’émergence de la génétique dans le domaine de la biologie évolutive indique que certaines caractéristiques complexes peuvent apparaître ou au contraire disparaître, au fil de l’évolution.
Pour étayer son hypothèse, l’équipe de recherche a analysé les crânes de 22 espèces de mammifères à différents stades de leur développement (allant de l’embryon à l’adulte). Pour ce faire, des imageries avec des microscanners crâniens ont été effectuées sur 165 spécimens différents, issus des archives historiques du musée. Ces données réunies, les chercheurs ont pu modéliser comment l’ancêtre commun des marsupiaux et des placentaires aurait pu évoluer. Ils ont ensuite comparé les résultats avec les morphologies crâniennes des représentants actuels des deux groupes.
Il a été constaté que les marsupiaux ont subi beaucoup plus de modifications morphologiques que les mammifères placentaires. Chez les marsupiaux, le développement du crâne serait davantage ralenti et décalé, en comparaison des placentaires et de leur ancêtre commun. « Grâce à ce grand ensemble de données comparatives, nous avons pu renverser ce que nous savons sur l’évolution des mammifères », estime Goswami. Par ailleurs, les experts suggèrent que le mode de reproduction chez les marsupiaux serait un type de développement spécialisé, découlant de modifications génétiques et phénotypiques plus importantes.
Une adaptation aux changements environnementaux
La raison pour laquelle les marsupiaux ont développé cette stratégie reproductive demeure pour l’heure mystérieuse. Néanmoins, les experts de l’étude estiment qu’il s’agit d’une stratégie d’adaptation aux variations environnementales extrêmes. Étant donné leurs longues périodes de gestation, les mammifères placentaires seraient plus vulnérables en cas de pénurie de ressources et pourraient périr avec leur progéniture. Dans le cas de la femelle marsupiale en revanche, la mère pourrait abandonner sa portée à un stade précoce, de sorte à pouvoir survivre à la pénurie et procréer ultérieurement.
Dans le bush australien, les femelles kangourous roux ont la capacité de ralentir temporairement une gestation en cours (diapause embryonnaire), lorsque les petits abrités dans leur poche ne sont pas suffisamment développés pour se nourrir et se déplacer seuls. Inversement, l’embryon sort de sa diapause si le petit occupant déjà la poche vient à mourir prématurément.
Par ailleurs, les chercheurs estiment que les marsupiaux ont migré il y a des milliers d’années, depuis l’Amérique du Nord vers le sud et finalement vers l’Australie, en s’appuyant sur cette capacité d’adaptation. Cette faculté aurait fait défaut aux mammifères placentaires existant à la même période, dans le sud de l’Amérique. « Une idée est que les marsupiaux étaient mieux équipés pour faire ce voyage, en raison de leur système reproducteur plus flexible », conclut Anjali.