Arbres, bactéries, animaux, plantes, humains… Toutes ces entités ont un point commun : celui d’être vivantes et de constituer la biomasse terrestre. La Terre abrite ainsi des milliards d’humains, et tout autant d’autres êtres vivants. Pendant longtemps, cette biomasse a été la seule véritable contribution à la masse totale (sans considérer l’eau) reposant à la surface de la planète. Mais depuis peu, cette situation a changé. En effet, aujourd’hui, la masse de toutes les choses construites par l’Homme est devenue supérieure à l’ensemble de la biomasse terrestre. Des résultats qui interrogent fortement sur l’expansion des activités humaines et de leurs effets sur la planète à l’heure de l’anthropocène.
Selon une nouvelle étude, la masse de tous nos objets et structures — bâtiments, routes, voitures et tout ce que nous fabriquons — dépasse désormais la masse de tous les êtres vivants de la planète. Et la quantité de nouveaux matériaux ajoutés chaque semaine équivaut au poids total de près de 8 milliards de personnes sur Terre.
Il existe de nombreuses mesures de l’impact de l’humanité sur la planète. Les combustibles fossiles ont propulsé les gaz à effet de serre à des niveaux jamais vus depuis au moins 800’000 ans. L’agriculture et les habitations ont modifié 70% des terres. Et les humains ont anéanti un nombre incalculable d’espèces dans une grande extinction émergente. Les transformations sont si grandes que les chercheurs ont déclaré que nous vivions dans une nouvelle ère dominée par l’Homme : l’anthropocène.
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Une quantité de matériaux doublant tous les vingt ans
Le biologiste Ron Milo du Weizmann Institute of Science a cherché une nouvelle mesure de notre impact planétaire. Lui et ses collègues ont synthétisé les estimations précédentes de la biomasse des plantes vivantes pour chaque année entre 1900 et 2017. Ces estimations représentent environ 90% de tous les êtres vivants et sont basées sur des recherches sur le terrain et la modélisation informatique. À partir de 1990, elles incluent également des données de satellites, que les chercheurs ont utilisées pour suivre la végétation mondiale.
Ensuite, l’équipe a ajouté la masse de tous les autres êtres vivants — des bactéries aux baleines — qu’elle avait recensés en 2018, sur la base d’enquêtes sur le terrain (les humains représentent environ 0.01% de la biomasse de la planète). Les estimations annuelles de la masse de matériaux fabriqués par l’Homme proviennent de recherches publiées par Fridolin Krausmann (écologue à l’UNRLS) et ses collègues, y compris des objets tels que des voitures et des machines, des bâtiments et d’autres infrastructures.
Le changement au cours des 120 dernières années a été dramatique. En 1900, la masse de matériaux humains ne représentait que 3% de la biomasse totale de la Terre. Depuis lors, les matériaux ont doublé environ tous les 20 ans, rapporte l’équipe dans la revue Nature. La surabondance de béton et d’asphalte a commencé pendant les années de boom entre la Seconde Guerre mondiale et la crise pétrolière de 1973, lorsque les pays développés se sont lancés dans une frénésie de construction.
Bâtiments et plastiques : ils pèsent plus que tous les arbres et animaux de la planète
Au cours des dernières décennies, encore plus de masse a été ajoutée. Pendant ce temps, la biomasse totale a diminué progressivement depuis 1900 pour atteindre environ 1100 milliards de tonnes, à cause de la déforestation et d’autres facteurs. L’augmentation de la masse d’origine humaine est due à l’utilisation de ressources géologiques denses : roches, minéraux et métaux.
La masse artificielle a finalement dépassé la biomasse vivante totale de la Terre cette année. Le moment de cette transition dépend de la question de savoir si la biomasse est calculée avec ou sans eau. Si l’eau est incluse, la biomasse restera plus grande que les matériaux humains jusqu’en 2037 environ. Même aujourd’hui, les comparaisons donnent à réfléchir : les bâtiments et autres infrastructures pèsent plus que les arbres et arbustes du monde, ont constaté les chercheurs.
Et la masse de plastique est le double de celle de tous les animaux. Les résultats ajoutent du poids au concept d’anthropocène, concluent les chercheurs. « C’est une indication que, en effet, la transition s’est produite et que le nom est approprié », déclare Milo. La nouvelle recherche nous aide à solidifier les preuves de notre impact sur la planète, déclare Josh Tewksbury, directeur de Future Earth, un réseau de scientifiques travaillant dans le domaine du développement durable.
Revoir la façon dont nos construisons nos infrastructures
Mais, selon lui, « Cela ne nous aide pas sur les détails de ce qu’il faut faire à ce sujet ». C’est parce que la masse globale de matériaux est une mesure brute de l’impact. Par exemple, indique Krausmann, elle ne tient pas compte de la toxicité de diverses substances. Et l’emplacement compte aussi. Le béton dans un barrage a un impact environnemental beaucoup plus important que la même quantité de béton dans une ville.
Eduardo Brondizio, anthropologue environnemental à l’Université de l’Indiana, souligne que dans les pays en développement, où les villes manquent de logements adéquats, de stations d’épuration des eaux usées et d’autres infrastructures, la pénurie de matériaux humains est injuste et dommageable pour l’environnement. « Ce n’est pas que l’infrastructure en soi soit mauvaise. C’est la façon dont nous construisons l’infrastructure qui pose problème ».
Les infrastructures continueront de se développer, plus rapidement dans les villes en développement, déclare Xuemei Bai, qui étudie la durabilité urbaine à l’Université nationale australienne. Toute l’énergie impliquée dans la production de matières premières pourrait mettre en péril les objectifs climatiques internationaux.