Face à la surproduction et la surconsommation de vêtements, l’industrie de la mode génère une pollution considérable en matière de déchets. Récemment, des chercheurs britanniques ont découvert que le mycélium, ces minces filaments semblables à des racines produits par de nombreux champignons, pourrait potentiellement servir de matériau biodégradable pour la fabrication de vêtements. Cerise sue le gâteau : le matériau est capable de s’autoréparer ! Une révolution pour une mode plus durable est en marche.
La mode est responsable de 10% des émissions mondiales de dioxyde de carbone, soit davantage que les vols internationaux et le transport maritime combinés, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Elle représente également un cinquième des 300 millions de tonnes de plastique produites chaque année dans le monde. Les vêtements en polyester mettent plus de 200 ans à se dégrader. Les produits d’origine animale, tels que le cuir, génèrent également de grandes quantités de polluants, comme le sel, les boues de chaux, les sulfures et les acides.
Bien que les défilés de mode soient les manifestations les plus visibles de cette industrie, l’impact environnemental le plus important provient du secteur de la mode rapide et ultra-rapide en ligne, qui incite les consommateurs à suivre les tendances en achetant de nombreux vêtements neufs à bas prix.
Des biotechnologistes des universités de Newcastle et de Northumbria (Royaume-Uni) ont récemment développé une méthode d’utilisation du mycélium — la partie souterraine du champignon, composée de filaments — pour créer un matériau portable auto-cicatrisant, qui pourrait constituer une alternative future à nos vêtements actuels. Leur travail a été publié dans la revue Advanced Functional Materials.
Le cuir dans le collimateur
Afin de tester leur méthode de conception de matériaux à base de mycélium, les chercheurs se sont intéressés au cuir. En effet, la production de cuir a un impact environnemental considérable, puisqu’elle utilise des ressources naturelles précieuses, contribue aux émissions de gaz à effet de serre et rejette des produits chimiques dangereux dans les eaux usées.
À ce jour, de nombreuses alternatives au cuir sont fabriquées à partir de plastique, de polyuréthane ou de chlorure de polyvinyle (PVC), ce qui leur vaut parfois le terme péjoratif de « simili-cuir ». Cependant, le principal problème réside dans le fait que les alternatives à base de plastique sont généralement peu respectueuses de l’environnement et ne constituent pas une option durable.
Il est important de noter que des recherches ont montré que des colonies fongiques peuvent développer un mycélium ramifié entrelacé, entraînant la croissance de grandes structures emmêlées. Lorsqu’elles sont correctement traitées, elles permettent de produire un matériau appelé cuir de mycélium, en raison de sa ressemblance avec le cuir de vache.
Bien que les matériaux à base de mycélium soient déjà utilisés dans de nombreux domaines, de la construction au textile, le processus de production de ces matériaux a tendance à tuer les chlamydospores — les spores fongiques qui aident l’organisme à se régénérer.
Les auteurs de l’étude ont donc cherché à résoudre cet aspect technique afin de créer un vêtement auto-réparant et pratiquement inusable, permettant ainsi de résoudre le problème des déchets générés par les quantités colossales de vêtements jetés chaque année. En effet, seule une infime partie de ces vêtements est effectivement recyclée et remise en vente, la majorité étant envoyée dans des pays en développement où la composition des tissus n’est pas adaptée au climat. Ils finissent alors dans des décharges à ciel ouvert.
La fin de la réparation des vêtements, le début d’un nouveau domaine de recherche
Pour créer ce matériau révolutionnaire biodégradable et durable, les chercheurs ont cultivé le mycélium en ajoutant des chlamydospores actives à un liquide contenant des glucides, des protéines et d’autres nutriments, qui a favorisé la croissance d’une peau. L’équipe a ensuite retiré la peau du liquide et l’a mise à sécher, en y appliquant un jeu de températures et de produits chimiques doux lui permettant finalement de ressembler à du cuir, sans tuer les chlamydospores.
En effet, les premiers résultats démontrent que ces cellules végétatives à paroi épaisse formées à la pointe de l’hyphe — à la pointe des filaments — peuvent être la clé des propriétés d’auto-réparation du matériau. Après avoir été percé de plusieurs petits trous, les chercheurs ont trempé la zone dans le même mélange que celui utilisé pour la pousse, afin de raviver les chlamydospores. Le mycélium a repoussé, comblant les zones perforées qui étaient tout aussi solides que les zones non endommagées.
Les auteurs écrivent : « Les résultats suggèrent que les matériaux de mycélium peuvent survivre dans des environnements secs et oligotrophes, et l’auto-guérison est possible avec une intervention minimale après une période de récupération de deux jours ».
Les matériaux produits dans le cadre de l’étude sont encore trop minces et délicats pour être transformés en vêtements, mais les chercheurs sont convaincus qu’il est possible que de futures innovations puissent en faire une peau plus résistante, éventuellement en combinant des couches ou en plastifiant le tout avec du glycérol. Ils espèrent que le cuir de mycélium auto-cicatrisant puisse être disponible à l’achat dans les dix prochaines années.
Ces nouveaux matériaux vivants artificiels, ou ELM, grâce aux cellules vivantes qu’ils contiennent, sont donc capables de s’adapter à leur environnement et peuvent être modifiés de différentes façons. Ils représentent une voie innovante pour un avenir durable dans plusieurs domaines.
C’est ainsi que des chercheurs du même groupe tentent également de créer une nouvelle génération de « bâtiments vivants », qui répondent à l’environnement naturel, cultivés à l’aide de matériaux d’ingénierie vivants, qui traitent leurs propres déchets, réduisent la pollution, génèrent de l’énergie et soutiennent un environnement biologique bénéfique pour la santé.
Le Dr Martyn Dade-Robertson, co-auteur de l’étude sur le cuir et directeur du Hub de biotechnologies de l’Université de Newcastle, déclare dans un communiqué : « C’est une opportunité incroyablement excitante de créer un nouveau domaine de recherche. En réunissant des architectes, des ingénieurs et des bio-scientifiques, en travaillant avec l’industrie et en investissant dans des installations de pointe, nous visons à repenser l’industrie du bâtiment [dans le contexte de crise climatique et de biodiversité] ».