Le dioxyde de vanadium (VO2) est un composé largement utilisé en électronique, car il est capable de conduire l’électricité pratiquement sans transmettre de chaleur. De manière fortuite, des chercheurs suisses ont constaté que ce matériau est capable de « se souvenir », comme le cerveau humain, de tout l’historique des stimuli externes précédents, bien que dépourvu de structure cérébrale. C’est le premier matériau identifié comme possédant cette propriété, bien qu’il puisse y en avoir d’autres. Cette découverte a des implications pour le traitement et le stockage des données en électronique, entre autres, mais aussi en intelligence artificielle.
Le dioxyde de vanadium (VO2) est étudié depuis quelques années dans l’objectif de dépasser les limites du silicium en tant que semi-conducteur et développer de nouveaux dispositifs électroniques à faible consommation. L’une des caractéristiques principales de ce nouveau matériau est d’être isolant à température ambiante et de devenir conducteur dès qu’il dépasse les 68 °C. Ce phénomène est nommé « commutation par changement de phase » (phase-change switch).
Bien que connues de longue date, les propriétés électroniques du dioxyde de vanadium n’ont pu être expliquées qu’en 2018. L’augmentation de la température opère une réorganisation des atomes au sein du matériau. De cristallin à froid, il devient métallique lorsque la température de 68 °C est atteinte. L’avantage est que cette transition s’opère extrêmement vite. Sans compter que l’adjonction de germanium au dioxyde de vanadium, dans les circuits électroniques, permet d’augmenter la température du changement de phase à plus de 100 °C.
Récemment, une équipe de chercheurs dirigée par l’ingénieur électricien Mohammad Samizadeh Nikoo de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), a découvert de manière fortuite une propriété inédite. Le dioxyde de vanadium est capable de « se souvenir » de tout l’historique des stimuli externes précédents. C’est le premier matériau identifié comme possédant cette propriété, bien qu’il puisse y en avoir d’autres. Ce résultat est publié dans la revue Nature Electronics.
Une découverte inattendue et inédite
Lorsqu’il a fait cette découverte, Mohammad Samizadeh Nikoo analysait les transitions de phase du dioxyde de vanadium au Laboratoire de recherche en électronique de puissance et haut débit (POWERlab) de l’EPFL, afin de déterminer le temps que nécessite le VO2 pour passer d’isolant à métallique, et vice versa.
Dans cet objectif, Mohammad Samizadeh Nikoo a appliqué un courant électrique à un échantillon de ce matériau. Il explique dans un communiqué : « Le courant s’est déplacé à travers le matériau, suivant un chemin précis, jusqu’à ce qu’il sorte de l’autre côté ». Au fur et à mesure que le courant s’y déplaçait, il échauffait le VO2 et provoquait un changement de phase, jusqu’à la sortie du matériau. Une fois le courant passé, ce dernier reprenait son état initial. On parle alors de mémoire volatile.
Par la suite, Mohammad Samizadeh Nikoo a appliqué une deuxième impulsion de courant au matériau, et a constaté que le temps nécessaire pour changer d’état était directement lié à l’historique du matériau. En d’autres termes, le matériau réagissait plus vite lorsqu’il avait déjà été traversé par un courant électrique, comme s’il « se souvenait de la première transition de phase et anticipait la suivante ».
Elison Matioli, qui dirige le POWERlab, déclare : « Nous ne nous attendions pas à voir ce genre d’effet mémoire, et cela n’a rien à voir avec les états électroniques, mais plutôt avec la structure physique du matériau. C’est une nouvelle découverte : aucun autre matériau ne se comporte de cette façon ».
Une mémoire de trois heures pour un stockage de données révolutionnaire
De plus, les chercheurs ont découvert que le dioxyde de vanadium est capable de se souvenir de son stimulus externe le plus récent jusqu’à trois heures. Encore plus surprenant, cet « effet mémoire » pourrait persister pendant plusieurs jours. Elison Matioli souligne cependant : « Nous ne disposons pas actuellement des instruments nécessaires pour le mesurer ».
Néanmoins, cette découverte aura des implications importantes en électronique et surtout en matière de stockage de données, car l’effet mémoire observé est une propriété innée du matériau lui-même. En effet, cette mémoire continue étant structurelle est de facto indépendante des états électroniques, contrairement aux matériaux actuels qui stockent les données sous forme binaire, liés à ces états électroniques.
En d’autres termes, les interrupteurs VO2 qui anticipent et activent les changements d’état se comportent de la même manière que les neurones dans un cerveau, qui servent à la fois d’unité de mémoire et de processeur. Qualifiée de technologie neuromorphique, l’informatique basée sur un système similaire pourrait présenter un réel avantage par rapport aux puces et circuits imprimés classiques. Les chercheurs ont corroboré leurs résultats en appliquant la nouvelle méthode à différents matériaux dans d’autres laboratoires à travers le monde.
De surcroit, les ingénieurs comptent sur cette mémoire pour effectuer des calculs de toutes sortes. Sans compter que les matériaux candidats à l’amélioration du processus de calcul en offrant une capacité, une vitesse et une miniaturisation supérieures, sont très demandés. En effet, il faut savoir que les jonctions métal-oxyde-semi-conducteur sont les éléments constitutifs de l’électronique moderne et peuvent fournir une variété de fonctionnalités autres que la mémoire. Cependant, la technologie est confrontée à des contraintes en termes de miniaturisation et de compatibilité entre les architectures informatiques. La manipulation d’états structurels plutôt qu’électroniques pourrait ouvrir la voie à des dispositifs fonctionnels à faible consommation d’énergie ultra-évolutifs.
C’est ainsi que, selon les auteurs, les états du dioxyde de vanadium peuvent être arbitrairement manipulés sur de courtes échelles de temps, et suivis pendant plusieurs ordres de grandeur dans le temps, allant de la microseconde à l’heure.
Les auteurs concluent que ces dispositifs pourraient donc surpasser l’électronique métal-oxyde-semi-conducteur conventionnelle en termes de vitesse, de consommation d’énergie et de miniaturisation, ainsi que fournir une voie vers le calcul neuromorphique et les mémoires à plusieurs niveaux.