La matière noire, élément clé de l’Univers selon notre compréhension actuelle, échappe à la détection directe malgré son rôle crucial dans la cosmologie. Une récente étude ouvre une voie prometteuse avec l’utilisation de détecteurs d’ondes gravitationnelles de nouvelle génération pour identifier les subtiles fluctuations de l’espace-temps directement induites par la matière noire.
La matière noire, composante invisible, mais dominante, de l’univers (plus de cinq fois plus par rapport à matière ordinaire), défie l’entendement scientifique depuis sa première postulation. Sa nature insaisissable, ne se manifestant ni par émission, ni par absorption, ni par réflexion de la lumière, mais uniquement par son influence gravitationnelle, reste l’une des énigmes majeures de la cosmologie moderne.
Une étude récente menée par Hyungjin Kim, physicien théoricien au centre d’accélérateur DESY en Allemagne, propose une méthode innovante pour sa détection. Publiée dans le Journal of Cosmology and Astroparticle Physics, elle suggère l’utilisation de détecteurs d’ondes gravitationnelles pour traquer les fluctuations de la matière noire.
La matière noire en tant qu’ondes ?
En s’appuyant sur les progrès technologiques récents dans le domaine des détecteurs d’ondes gravitationnelles, Kim suggère que ces instruments pourraient être essentiels dans la recherche de particules de matière noire. Selon nos connaissances actuelles, ces dernières, théoriquement très peu massives, se distinguent d’autres formes de matière par leur capacité à former d’immenses halos autour des galaxies. Ces structures, bien que massives, restent invisibles à nos instruments traditionnels en raison de la nature non lumineuse de la matière noire.
La théorie de Kim repose sur une caractéristique unique de ces particules : leur comportement ondulatoire, similaire à celui des ondes classiques. Cette propriété pourrait induire des variations aléatoires dans la densité de la matière noire au sein des halos galactiques, un phénomène qui n’a pas d’équivalent dans le comportement des candidats à la matière noire plus massifs.
En particulier, des études théoriques récentes suggèrent que la densité de la matière noire au sein d’un halo galactique devrait subir des changements aléatoires, bousculant des galaxies entières et laissant potentiellement des indices subtils sur la composition de la matière noire. Ces fluctuations pourraient théoriquement être mises en évidence par les détecteurs d’ondes gravitationnelles, qui sont sensibles aux moindres perturbations dans le tissu de l’espace-temps.
Les détecteurs d’ondes gravitationnelles à la rescousse
Pour déterminer si les détecteurs d’ondes gravitationnelles modernes peuvent théoriquement détecter l’influence de la matière noire, Kim a calculé comment des particules de matière noire de différentes tailles pourraient perturber l’espace-temps. Il a ainsi dû explorer une large gamme de masses — d’environ 16 à 28 ordres de grandeur inférieures à la masse d’un électron.
Son analyse théorique a montré que pour toutes ces masses, les détecteurs existants comme le Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO), qui a permis de prouver l’existence d’ondes gravitationnelles en 2015, ne seraient pas capables de détecter les fluctuations de la matière noire, car leur sensibilité est trop faible.
De fait, Kim s’intéresse au futur détecteur spatial LISA (Laser Interferometer Space Antenna). Prévu pour être lancé au milieu des années 2030, LISA représente une avancée majeure dans les technologies de détection spatiale, capable de mesurer les ondulations dans le tissu de l’espace-temps avec une précision sans précédent.
La théorie de la relativité générale d’Einstein sert de fondement à cette recherche. En effet, cette dernière introduit les ondes gravitationnelles comme des perturbations de l’espace-temps générées par des objets massifs en mouvement. Ces ondes, en traversant un détecteur, altèrent temporairement la distance entre deux points en modifiant l’espace-temps lui-même. Cette propriété fondamentale permet aux scientifiques d’utiliser des détecteurs spécifiques pour observer ces modifications subtiles, ouvrant ainsi une fenêtre sur des phénomènes cosmiques jusqu’alors inaccessibles.
Kim avance l’idée que, de manière similaire, les fluctuations de la matière noire en mouvement à travers le système solaire pourraient affecter la distance entre les composants d’un détecteur d’ondes gravitationnelles. Ces particules de matière noire, en exerçant une force gravitationnelle, pourraient attirer légèrement les miroirs l’un vers l’autre ou les repousser, modifiant ainsi la mesure de distance au sein du détecteur.
Cette interaction subtile offrirait un moyen direct de détecter la présence de matière noire, en observant les variations dans les signaux des détecteurs d’ondes gravitationnelles attribuables non pas à des événements cosmiques massifs, comme la fusion de trous noirs, mais à la matière noire elle-même. La réussite de cette approche pourrait non seulement confirmer la présence de la matière noire sous cette forme ultralégère, mais aussi fournir des informations précieuses sur sa distribution et ses propriétés au sein des galaxies.