Il est facile d’avoir le vertige rien qu’en imaginant tout ce que nous voyons du ciel… Les planètes, les étoiles, les nébuleuses et même les galaxies, ne sont qu’une infime partie de l’Univers.
La matière noire ainsi que l’énergie sombre constituent en effet 95% de notre Univers. La matière standard que chacun de nous peut percevoir ne représente donc que la partie émergée de ce véritable « iceberg cosmique ». Ces deux éléments sombres nous sont encore fort inconnus quant à leur nature. Leur découverte récente (en l’espace de moins d’un siècle) a révolutionné la cosmologie.
L’Univers tel que l’on observe aujourd’hui compte une quantité phénoménale de matière : quelques 225 milliards de galaxies découvertes à ce jour, contenant chacune environ 200 milliards d’étoiles, qui elles sont quasiment toutes accompagnées d’un système de planètes. N’oublions pas également les volumes colossaux de gaz et de poussière. Si l’on assemble cette véritable « foule » cosmique, cela affichera plus de (tenez-vous bien) 100 millions de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de kilogrammes (1053 kg). Une quantité gigantesque (c’est le cas de le dire) que l’on peut avoir de la peine à imaginer. Et ce qui est le plus fou, c’est que tout ceci, n’est qu’une infime partie dans l’immensité de l’Univers.
Mais alors, comment est-ce que ces pièces sont-elles assemblées ?
Afin de pouvoir assembler les pièces de cet immense puzzle il faut déjà comprendre qu’il existe des milliards d’étoiles comme la nôtre, elle-même située dans une galaxie parmi tant d’autres !
Il a fallu attendre les années 1920-1930 pour réussir à mesurer les « fuites » des galaxies. En effet, c’est grâce aux observations d’Edwin Hubble qu’on sait désormais que les galaxies s’éloignent de nous et que l’Univers est donc en expansion. Quelques années plus tard, un astrophysicien Suisse, Fritz Zwicky, étudiant l’amas de galaxies Coma depuis le mont Wilson (en Californie) à réussi à mesurer précisément la vitesse moyenne de certaines de ces galaxies qui constituent cet amas nommé Coma. Mais il se passa une chose, à laquelle Fritz ne s’attendait pas : ces galaxies sont dix fois plus rapides qu’attendu ! Il en a donc déduit que l’amas de Coma est bien plus massif que sa seule matière visible ne le suggère dans un premier temps et qu’il doit contenir une énorme quantité de matière invisible qu’il appelle alors, la matière noire. Et des conclusions de ce genre, Fritz Zwicky en aura plusieurs, notamment sur l’origine des rayons cosmiques et l’existence des lentilles gravitationnelles…
D’ailleurs, petite anecdote sur Fritz Zwicky. Ce personnage ne manquait pas d’audace, en effet il surnommait régulièrement ses collègues du Mont Wilson de « spherical bastards » (cons sphériques). Vous vous demandez pourquoi sphériques ? Tout simplement car ils étaient « bastards » (cons) de n’importe quel côté qu’on les regarde…
Mais reprenons. Durant les décennies qui suivirent, des indices clairs de l’existence d’une matière noire dans l’Univers s’accumulent. Par exemple, les diverses mesures de rotation des galaxies (dont notre Voie lactée), montrent que « la vitesse de rotation des étoiles ne décroît pas comme on pourrait s’y attendre lorsqu’on s’éloigne du centre de la galaxie » explique Éric Aubourg, du laboratoire Astroparticules de cosmologie (APC). « Cette vitesse reste à peu près constante jusqu’à de grandes distances, ce qui pourrait s’expliquer par la présence d’un halo étendu de matière noire. » Cet halo qui, par la force de gravité qu’il émet sur les étoiles, les accélère. C’est en fait un peu comme la force de gravité de la Terre, qui accélère les objets tels que les satellites ou les astéroïdes qui passent à proximité.
La matière noire comme étrange réalité
Pourtant, ce n’est que vers la fin des années 1980 que la matière noire s’imposera comme une étrange réalité car d’importants travaux théoriques ont montré que sans elle, la « recette » de l’Univers serait tout simplement ratée. Si l’on revient en 1948, c’est à ce moment-là que plusieurs scientifiques calculent d’après les lois de la relativité générale, comment et dans quelles proportions l’Univers engendre ses premiers éléments : l’hydrogène, l’hélium et le lithium, 15 minutes après le Big Bang. Le résultat de ces calculs a été vérifié maintes et maintes fois et est sans appel : la matière visible et ordinaire (celle qui est donc faite de protons et de neutrons) ne représente que 15% de la matière totale connue dans l’Univers ! Le reste est donc constitué d’une matière invisible, la fameuse matière noire.
De quoi cette matière noire est-elle donc formée ?!
Dans un premier temps, nous pensions que la matière noire était formée d’atomes, mais sous une forme non lumineuse. C’est donc tout naturellement qu’on a étudié des astres massifs qui ne brillent pas. En effet, il existe des « étoiles ratées » qui n’ont pas réussi à atteindre une masse suffisamment élevée pour enclencher la fusion nucléaire en leur cœur, et qui donc ne se sont pas « allumées ». Ces naines brunes très sombres pourraient donc bien constituer la masse manquante de l’Univers…. Faux ! Nous avons découvert à la fin des années 1990, que certains de ces objets possédant une masse de 10 à 15 fois celle de Jupiter. Aussi nombreux soient-ils, ils ne le sont pas assez pour combler ce manque.
Cette matière noire est donc à la fois invisible et dotée d’une intense force de gravité… Pour exister, il lui faut donc les éléments suivants : une particule stable (puisque la matière noire semble être présente dans l’Univers depuis le Big Bang), une masse importante (de 10 à 1000 gigaélectronvols) et qui a très peu de chances d’entrer en collision avec d’autres particules (de sorte qu’elle n’interagit que très peu avec la matière visible).
Dans la théorie standard de la physique des particules, un mouton à cinq pattes n’existe pas. Et pourtant ! Une théorie alternative (non encore confirmée) est considérée comme une représentation plus complète de notre monde et prédit l’existence de la supersymétrie en disant que « pour chaque particule de l’Univers, il existe une particule partenaire qui agit au moyen de la même force, mais avec une masse différente », explique Éric Aubourg.
Et la supersymétrie dans tout ça ?
Disons que c’est un peu comme un Joker pour les physiciens. En effet, celle-ci permet à la fois de résoudre plusieurs casse-têtes posés par la théorie classique mais également de réaliser un rêve des plus fous : celui d’unifier les trois forces qui animent les particules élémentaires (la force électromagnétique, la force nucléaire forte et la force nucléaire faible) au sein d’une seule et même force, l’interaction électronucléaire !
De plus, cette supersymétrie a le don de prédire l’existence d’une particule qui répond à toutes les questions : le neutralino. Cette entité très légère (mais également très massive !) est la plus stable des particules supersymétriques et pourrait tout à fait être l’ingrédient de base de la matière noire, affirment les équations.
Maintenant, il ne reste « plus qu’à » prouver son
existence par les expériences et à mettre la main sur ce très
prometteur neutralino. C’est ce à quoi s’emploient certains
scientifiques depuis près de vingt ans maintenant… « Nous
faisons le pari, puisque cette matière fantôme constitue jusqu’à
85% de la matière de l’Univers, que notre Terre est constamment
balayée par un flux de particules de matières noire »
poursuit le chercheur. Pourtant, récolter ne serait-ce qu’une
infime « goutte » de particules est un défi plutôt
compliqué. Souvenez-vous, la matière noire n’interagit que très peu
avec la matière visible et les calculs des chercheurs indiquent
que, sur une tonne de matière dite « normale », seul un
baryon (proton ou neutron) entre en collision avec un
neutralino, chaque année !
En espérant voir l’un de ces événements rarissimes, qui pourtant émettent un signal lumineux caractéristique extrafaible, les chercheurs ont mis au point des détecteurs improbables. En effet c’est à des centaines de mètres sous la terre que sont situés les détecteurs de matière noire, là où le bruit de fond est très réduit. Car pour réussir à capter ce signal lumineux extrafaible, il est primordial de s’éloigner au plus possible des rayons cosmiques qui bombardent incessamment notre planète.
Mettre la main sur la matière noire !
Récapitulons. La matière noire peut donc être débusquée grâce à ses effets gravitationnels. La masse énorme de l’amas de galaxies au premier plan amplifie et déforme la lumière de galaxies très lointaines. Un effet qui nous permet de quantifier la matière totale présente dans l’amas, dont la matière noire.
Les expériences de détection de matière noire du CDMS, peuvent être visitées (dans le Minnesota, à Modane, ou encore au Canada) mais pour cela il faut s’enfoncer en profondeur dans le sol, à respectivement 800m, 1400m et 2000m de profondeur. Ces laboratoires souterrains peuvent être atteints par des longues descentes en ascenseurs. Après plus de vingt années de recherches dans les entrailles de la terre, aucun signe de la matière noire… Pourtant, les chercheurs ne se découragent pas pour autant. Ici, les détecteurs contiennent du germanium, potentielle cible des particules de matière noire, car il n’est que peu radioactif, stable et ne se désintègre pas.
Une autre partie de la communauté scientifique mise sur une technologie alternative : le xénon liquide. C’est un matériau très stable comme le germanium mais qui possède l’avantage de pouvoir être stocké en plus grandes quantités. L’expérience « Xénon 1 tonne » se situe à 1400 m sous la terre et consiste en une immense piscine remplie d’une tonne de xénon liquide qui attends la venue d’une particule de matière noire… Une version à 5 tonnes devrait être mise en place d’ici 2018 et espère apporter des résultats d’ici 2020, selon les chercheurs.
Mais pour mettre la main sur la matière noire, un autre instrument pour le moins spectaculaire est né. C’est le Grand collisionneur de hadrons, le LHC (soit Large Hadron Collider en anglais) situé à Genève en Suisse, qui possède un accélérateur de particules d’une circonférence de 27 km ! C’est la plus grosse machine jamais conçue par l’homme et possède le plus puissant accélérateur de particules existant à ce jour (qui a notamment permis en 2012 de confirmer l’existence du boson de Higgs).
Les scientifiques tentent non pas de capturer les particules de matière noire, mais carrément de les engendrer en provoquant des collisions entre particules ordinaires à des énergies phénoménales, proches de celles qui régnaient au moment du Big Bang. Selon la loi de conservation de l’énergie, pour tout phénomène, l’énergie totale d’un système doit être égale au départ et à l’arrivée.
Si le fameux neutralino existe vraiment, il trahira un jour sa présence par un déficit inexpliqué dans le bilan énergétique d’une collision entre particules ordinaires. C’est ce jour-là alors, que nous aurons résolu l’un des grands mystères de la masse manquante dans l’Univers.