La mécanique quantique est à l’origine de nombreux phénomènes déroutants, tels que l’intrication ou encore le principe de superposition. À l’opposé de la physique classique intrinsèquement déterministe, la mécanique quantique est probabiliste. Au-delà de ce non-déterminisme, des scientifiques ont récemment montré qu’elle pourrait, dans une certaine mesure, également échapper à la causalité.
Dans le monde ordinaire, toute cause précède l’effet. Les événements s’enchaînent dans un ordre logique et déterminé sous la contrainte des lois classiques. Une nouvelle expérience montre cependant qu’il se pourrait qu’à l’échelle quantique, la situation ne soit pas la même. Lorsqu’il s’agit d’objets comme les particules, il peut apparaître impossible de déterminer quel événement a eu lieu avant l’autre, brouillant ainsi les contours même de la causalité.
Sur le même sujet :
L’étrangeté de la mécanique quantique a été testée au-delà de l’échelle des particules
L’expérience, qui repose sur un commutateur quantique, pourrait offrir un tout nouvel outil dans le développement des technologies quantiques de communication à venir. De la même manière qu’une particule (tant qu’elle n’est pas mesurée) peut se trouver à différentes positions selon les probabilités données par sa fonction d’onde, le commutateur quantique réalise un processus similaire avec deux événements A et B. Les résultats, publiés dans la revue Physical Review Letters, montrent que simultanément, A peut se réaliser avant B, et B avant A.
« C’est vraiment exaltant de voir des gens réaliser notre idée avec une véritable expérience » s’enthousiasme Giulio Chiribella, physicien théoricien à l’université d’Oxford et l’un des auteurs du concept proposé en 2009. Pour ce faire, Andrew White et ses collègues de l’université du Queensland (Australie) ont propulsé des photons sur un interféromètre à l’intérieur duquel deux trajectoires (chemins) se séparent puis se rejoignent.
Un seul photon pour deux chemins différents
Selon la dualité onde-corpuscule, un photon est à la fois une particule et une onde électromagnétique, qui peut être polarisée horizontalement ou verticalement. Les chercheurs ont paramétré leur installation de telle manière que si le photon est polarisé verticalement, il s’engage tout d’abord sur le chemin de gauche puis, en rentrant par une autre entrée, le chemin de droite. Dans le cas d’une polarisation horizontale, le photon s’engage d’abord sur le chemin de droite, puis sur celui de gauche.
Cependant, la mécanique quantique permet également au photon d’être polarisé simultanément verticalement et horizontalement, il s’agit alors d’une polarisation oblique (ou diagonale).
Lorsqu’un photon polarisé obliquement entre dans l’interféromètre, sa fonction d’onde se sépare en deux parties, une polarisée verticalement et une horizontalement ; le photon prend ainsi les deux chemins simultanément avant que sa fonction d’onde ne se réunisse en sortie de l’appareil.
Quand le photon répète le trajet, il suit de nouveau les deux chemins, bien que les deux parties de sa fonction d’onde n’empruntent ces chemins qu’une seule fois. Si bien qu’il devient impossible de savoir dans quel ordre le photon a suivi le chemin en question. Pour suivre l’avancée du photon, les physiciens ne peuvent pas simplement insérer des détecteurs pour le localiser, car toute mesure provoquerait l’effondrement de la fonction d’onde et l’expérience échouerait.
L’ordre indiscernable des événements à l’échelle quantique
Afin de contourner cet écueil, les chercheurs ont utilisé un autre paramètre : la distribution spatiale du photon. Il est ainsi possible d’influer sur cette distribution spatiale en plaçant des lentilles et autres dispositifs optiques sur chacun des chemins empruntables.
Ces changements subtiles représentent les « événements » de l’expérience et, en fonction de la petite série de changements que les physiciens effectuent le long de chaque trajectoire, la polarisation du photon peut basculer d’une direction oblique à une autre, tandis que les deux parties de sa fonction d’onde se recombinent.
Au cours de plusieurs essais, les chercheurs ont implémenté différentes combinaisons de changements sur la distribution spatiale du photon dans les deux trajectoires. Si le photon prend un chemin avant d’en prendre un autre, alors la corrélation entre ces changements et la polarisation finale du photon doivent obéir à certaines limites de causalité. Mais si le photon prend simultanément les deux chemins au départ, alors la corrélation viole ces limites. Et c’est cette violation qui a été observée.
En l’état, les auteurs ont choisi de mener indépendamment les changements de distribution spatiale dans les deux chemins. Cependant, en principe, l’expérience montre que la mécanique quantique permet aux deux processus de se déclencher simultanément l’un l’autre. « Il apparaît une situation où A peut causer B, tandis qu’au même moment, B cause A » explique Cyril Branciard, physicien à l’institut Néel de Grenoble (France).
Une expérience similaire avait été précédemment menée à l’université de Vienne en 2015, mais les résultats de cette nouvelle expérience surpassent les limitations techniques de celle-ci et le dispositif utilisé pourrait aider plus aisément au développement d’applications pratiques.
Le commutateur quantique pourrait, par exemple, intervenir dans la manipulation et la transmission d’information encodée dans l’état quantique de photons individuels ou d’autres particules. Un tel dispositif devrait faire passer les particules à l’intérieur de canaux quantiques, comme la fibre optique, et subirait donc nécessairement un bruit de fond. Mais même si deux canaux souffrent trop du bruit pour transmettre correctement l’information quantique, ils pourraient être transformés en commutateur quantique ; afin de permettre à l’information de circuler.