La sclérose en plaques est une maladie auto-immune qui affecte le système nerveux central. Les lésions induites par la maladie entraînent des perturbations motrices, sensitives et cognitives qui mènent progressivement au handicap. Près de 110 000 personnes seraient touchées par la maladie en France. Le virus d’Epstein-Barr — un virus de l’herpès responsable de la mononucléose infectieuse — est depuis longtemps fortement soupçonné d’être un facteur déclencheur de la maladie. Cependant, le mécanisme sous-jacent n’avait jamais été totalement compris.
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie auto-immune hétérogène, dans laquelle les lymphocytes B attaquent la gaine de myéline qui entoure les axones dans le système nerveux central. Cette démyélinisation entraîne de multiples dysfonctionnements dans la propagation de l’influx nerveux. Si le virus d’Epstein-Barr (VEB) a été identifié comme un facteur de risque majeur, c’est parce qu’une infection par ce virus est détectée chez la quasi-totalité des individus atteints de SEP. Des chercheurs du Centre médical de l’Université de Stanford montrent dans une nouvelle étude par quel mécanisme le virus entraîne le développement de la maladie.
Il ressort de leurs recherches que le VEB « prépare » en quelque sorte le système immunitaire à attaquer le système nerveux. Il se trouve qu’une partie d’une protéine du VEB, notée EBNA1, est assez similaire à une protéine fabriquée dans le cerveau et la moelle épinière, appelée « molécule d’adhésion des cellules gliales » (notée GlialCAM). « Cela signifie que lorsque le système immunitaire attaque le VEB pour éliminer le virus, il finit également par cibler GlialCAM dans la myéline », explique dans un communiqué William Robinson, professeur d’immunologie et de rhumatologie à Stanford et auteur principal de l’étude.
Des anticorps examinés de près
Des recherches antérieures ont montré que les patients atteints de sclérose en plaques possèdent des niveaux élevés d’anticorps contre une variété de virus courants, notamment celui de la rougeole, des oreillons, de la varicelle/zona et du virus d’Epstein-Barr, mais le lien causal n’était pas clair. Si, au fil des recherches, les différents virus envisagés ont finalement été écartés des causes possibles des maladies auto-immunes, le VEB a toujours été soupçonné d’être étroitement lié à l’apparition de la SEP. « Plus de 99% des patients atteints de SEP possèdent des anticorps anti-VEB », précisent les auteurs de l’étude, ce qui suggère une nette corrélation épidémiologique.
Pour tenter de trouver et de comprendre le lien exact entre cette infection et la SEP, les chercheurs ont examiné les anticorps produits par les cellules immunitaires du sang et du liquide céphalo-rachidien de neuf patients atteints de SEP. Ils ont remarqué que ces cellules immunitaires circulent vers le cerveau et la moelle épinière, où elles produisent de grandes quantités de plusieurs types d’anticorps, notamment des immunoglobulines appelées bandes oligoclonales — qui sont d’ailleurs utilisées comme critères de diagnostic de la SEP.
« La première chose que nous avons faite a été d’analyser les anticorps des bandes oligoclonales et de montrer qu’ils proviennent des cellules B du liquide céphalo-rachidien », relate William Robinson. Pour ce faire, l’équipe a prélevé des lymphocytes B dans le liquide céphalo-rachidien, puis a séquencé chaque cellule individuellement, à raison de dizaines à centaines de cellules par patient — une procédure jamais réalisée auparavant, mise au point par Robinson et ses collaborateurs il y a quelques années. Ceci fait, les chercheurs ont exprimé les anticorps identifiés afin de tester leur réactivité vis-à-vis de centaines d’antigènes différents.
Un « mimétisme moléculaire » à l’origine de la maladie
Après avoir testé plusieurs antigènes humains sans résultat significatif, l’équipe a entrepris de tester les anticorps contre le VEB et d’autres virus de l’herpès. Résultat : plusieurs anticorps anti-SEP se sont liés au virus. Plus précisément, six patients sur neuf possédaient des anticorps qui se liaient à la protéine virale EBNA1 ; en outre, huit sur neuf possédaient des anticorps contre un fragment bien particulier de cette protéine. Les chercheurs se sont alors concentrés sur un anticorps qui se lie à EBNA1 au niveau d’une région connue pour susciter une forte réactivité chez les patients atteints de SEP.
Ce même anticorps a ensuite été testé sur plus de 16 000 protéines humaines. C’est là que Robinson et son équipe ont découvert qu’il se liait également, et avec une grande affinité, à la protéine GlialCAM, présente dans la gaine de myéline des nerfs. « Le VEB pousse le système immunitaire à réagir non seulement au virus, mais aussi à ce composant essentiel des cellules qui constituent la matière blanche de notre cerveau », a déclaré Lawrence Steinman, professeur de neurologie à Stanford et co-auteur de l’étude. En examinant le sang d’un échantillon plus large de patients atteints de SEP, les chercheurs ont constaté que 20 à 25% d’entre eux affichaient une réactivité élevée à la fois à la protéine EBNA1 et à GlialCAM. Cette réactivité croisée est la preuve irréfutable que le VEB est le déclencheur de la grande majorité des cas de SEP.
Une étude menée en parallèle sur des modèles murins de SEP a par ailleurs permis de confirmer l’hypothèse : après avoir reçu une injection d’un fragment de la protéine EBNA1, les souris ont présenté une paralysie plus grave, davantage de cellules immunitaires envahissant leur système nerveux central, et davantage de lésions au niveau des gaines de myéline. « Si vous immunisez une souris avec un antigène particulier et que cela aggrave la paralysie, cela suggère qu’une réponse immunitaire contre cette cible peut contribuer à la pathogenèse de la SEP », conclut Robinson.
La découverte de la façon dont le VEB déclenche la SEP ouvre la voie à de nouveaux traitements préventifs — qui consisteraient essentiellement à éradiquer le virus, via un vaccin par exemple (le laboratoire Moderna vient d’ailleurs de démarrer un essai clinique sur l’Homme d’un vaccin à ARNm contre le VEB). Pour ce qui est du développement d’un traitement pour les patients atteints de SEP, une option serait de rendre le système immunitaire plus tolérant à la protéine GlialCAM, a déclaré Steinman. « Il existe ici deux technologies prometteuses, l’une impliquant un vaccin inversé utilisant des plasmides d’ADN et l’autre utilisant la technologie ARN […] », explique Steinman.
Ces résultats pourraient également faire avancer la recherche sur d’autres maladies auto-immunes, telles que le lupus et la polyarthrite rhumatoïde, qui ont elles aussi été significativement associées à l’infection par le VEB.