S’il peut sembler calme à nos échelles d’observation, observé à l’échelle quantique, le vide est un véritable chaos bouillonnant d’énergie. À chaque instant, des paires de particule-antiparticule virtuelles apparaissent et s’annihilent selon le principe d’indétermination d’Heisenberg. Grâce à la sensibilité toujours plus importante de l’instrumentation moderne, les physiciens commencent tout juste à mesurer avec une relative précision ces fluctuations quantiques du vide. Récemment, des chercheurs sont parvenus à mettre en rotation des nanoparticules à plusieurs centaines de milliards de tours par minute ; cette rotation ultra-rapide engendre une friction du vide qui pourrait permettre de mesurer avec précision les fluctuations du champ électromagnétique à l’échelle quantique.
L’objet record en question est un minuscule morceau de silice, capable de tourner des milliards de fois par seconde — possédant une sensibilité suffisante pour que l’équipe de recherche puisse, selon eux, l’utiliser pour détecter les « traînées quantiques » générées par l’objet au sein du champ électromagnétique à l’échelle quantique. L’étude a été publiée dans la revue Nature Physics.
Il y a plusieurs années, des chercheurs de l’Université Purdue aux États-Unis ont fait un pas en avant en développant une méthode pour mesurer le couple — ou la force de torsion — agissant sur un minuscule morceau de diamant oblong. En utilisant un laser pour suspendre le matériau dans le vide, les physiciens disposaient d’un appareil incroyablement précis pour mesurer les oscillations des champs alentours.
« Un changement d’orientation du nanodiamant a provoqué une torsion de la polarisation du faisceau laser. Les balances de torsion ont joué un rôle historique dans le développement de la physique moderne. Maintenant, un nanodiamant ellipsoïdal à lévitation optique dans le vide fournit une nouvelle balance de torsion à l’échelle nanométrique, qui sera beaucoup plus sensible » expliquait le physicien Tongcang Li en 2016.
Des sphères de silice en rotation à 300 milliards de tours par minute
Trois ans plus tard, Li et son équipe ont remplacé le diamant par des nanoparticules de silice de seulement 150 nanomètres de diamètre, qui ont été maintenues en suspension à l’intérieur d’une chambre à vide avec un laser de 500 milliwatts. En utilisant des impulsions polarisées provenant d’un second laser, ils ont pu régler la rotation des sphères de silice.
Et ils sont parvenus à atteindre 300 milliards de tours par minute, brisant les limites des tentatives précédentes qui ont à peine généré un cinquième de cette vitesse. C’est donc la sensibilité des forces de rotation que les chercheurs visent à améliorer. Bien que cette expérience repose sur la technologie moderne, elle a ses racines dans une expérience vieille de plusieurs siècles.
Une version moderne de l’expérience de Cavendish
À la fin du XVIIIe siècle, le scientifique britannique Henry Cavendish a entrepris de mettre en évidence les lois de Newton sur la gravité en tentant de mesurer la force à l’aide de deux paires de poids en plomb.
Deux sphères de plomb relativement légères fixées à chaque extrémité d’un faisceau de 1.8 mètre de large étaient suspendues à un fil, près d’une deuxième paire de masses lourdes fixes. Une mesure de la torsion sur le fil a fourni la première mesure réelle d’une constante gravitationnelle.
Cette nouvelle version nanométrique de l’expérience de Cavendish pourrait être si sensible qu’elle pourrait théoriquement être utilisée pour mesurer la faible oscillation des champs électromagnétiques responsable d’une sorte de friction dans le vide, formée par l’incertitude inhérente de la physique quantique.
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Mesurer les fluctuations du champ électromagnétique à l’échelle quantique
« Une nanoparticule neutre à rotation rapide peut convertir les fluctuations du vide quantique et thermique en rayonnement. De ce fait, le vide électromagnétique se comporte comme un fluide complexe et exercera un couple de frottement sur un nanorotor » écrivent les chercheurs.
La force de torsion est mesurée en unités appelées « newton-mètres », où un newton-mètre est un newton de force appliqué à un point de levier à un mètre de distance. En 2016, une expérience a mis au point une méthode qui pouvait mesurer un couple aussi sensible que 3×10-24 newton mètres, un processus qui nécessitait des températures à une fraction de degré au-dessus du zéro absolu.
Li et son équipe ont également analysé ce record précédent, comparant la façon dont les nanosphères de silice ont tourné entre les cycles laser pour arriver à des mesures de couple de seulement 1.2 x 10-27 newton mètres, à température ambiante.
À l’avenir, des expériences faisant varier la composition du matériau en rotation ainsi que des facteurs environnementaux tels que la température et les objets à proximité, pourraient être utilisés pour enfin mesurer comment les champs quantiques non perturbés se dissipent aux énergies les plus basses.