Le ballet céleste orchestré par le Soleil, la Terre et la Lune entraîne des variations de la force gravitationnelle auxquelles sont soumis tous les organismes vivants depuis l’apparition de la vie sur notre planète. De quelle manière et à quel point ces « marées gravimétriques » influent-elles sur le comportement de la flore et de la faune ? Une méta-analyse menée par deux chercheurs apporte aujourd’hui une réponse à la question en passant en revue plusieurs études traitant du rythme biologique de divers organismes.
Le concept n’est pas nouveau. Cela fait des années que les scientifiques étudient l’effet des marées gravitationnelles sur les plantes et les animaux. Son impact aurait cependant été minimisé et Cristiano de Mello Gallep, biophysicien à l’Université de Campinas au Brésil, et Daniel Robert, biologiste à l’Université de Bristol, tenaient à mettre en évidence l’omniprésence de cette force et démontrer qu’il est essentiel d’en tenir compte systématiquement dans les projets de recherche sur le vivant. « La marée gravimétrique, d’environ un millionième de g [la gravité terrestre], est une force de la nature qui est omniprésente sur Terre depuis aussi longtemps que les jours et les nuits existent », notent les auteurs de l’étude.
La méta-analyse des deux chercheurs suggère que les marées gravitationnelles, même si elles s’avèrent relativement faibles, peuvent véritablement changer la façon dont les plantes et les animaux grandissent, se comportent et se déplacent, et ce, même s’ils sont soumis à des conditions dans lesquelles l’alternance jour/nuit est complètement inversée ou perturbée. Vous regarderez peut-être d’un autre œil votre étrange voisin qui soigne ses plantes et son jardin en fonction du cycle lunaire…
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Un cycle gravitationnel dissociable du cycle circadien
Pour mener à bien leur analyse, les chercheurs se sont concentrés sur trois études antérieures. La première, menée dans les années 1960, concernait l’activité de nage des isopodes cirolanides (de minuscules crustacés). Cette étude avait montré que, sortis de leur milieu naturel et maintenus dans des conditions de free-running (ce qui signifie que l’horloge biologique n’est pas synchronisée avec des signaux exogènes de l’environnement) en laboratoire, les animaux adoptaient un rythme de nage corrélé aux marées, selon un cycle d’environ 12,4 heures : pendant toute la durée de l’expérience (13 jours), ils nageaient de façon soutenue à chaque pic de marée — un moment localement associé aux maxima des niveaux d’eau dans leur milieu naturel.
Ce rythme ne pouvait être dû à l’horloge circadienne interne des animaux, qui au fil des jours, aurait occasionné des « retards de nage ». « À partir de ces données, il devient évident que le prédicteur le plus fiable pour le moment de l’activité de nage est la marée gravimétrique luni-solaire qui dicte l’heure d’arrivée de la marée haute, plutôt que le régime lumière/obscurité dicté par le rythme circadien solaire », concluent les chercheurs dans leur article.
La deuxième étude, datant de 1985, s’intéressait à la reproduction des coraux. Pocillopora damicornis, une espèce de corail connue pour libérer des larves planula selon un cycle mensuel, a été cultivée pendant 16 mois dans des conditions contrôlées, avec un débit d’eau, une température et une salinité constants. Les animaux ont bénéficié d’un rayonnement solaire diurne complet, mais de quatre traitements de rayonnement nocturne différents : un rayonnement nocturne naturel, un rayonnement décalé (obscurité totale en phase de pleine lune et vice versa), une pleine lune constante et l’obscurité totale.
Dans les deux premiers cas (déphasés l’un par rapport à l’autre), la production de larve culminait au premier quartier et à la pleine lune, ce qui correspond aux plus hautes marées. Les populations de coraux cultivés sous pleine lune ou nouvelle lune (obscurité) constante ont, en revanche, rapidement perdu la synchronisation de la production mensuelle de larves.
Une force perceptible et puissante
Enfin, la troisième étude, menée par Gallep en 2014, concernait la germination de plants de tournesol isolés, ou plus exactement, l’émission ultrafaible et spontanée de photons (notée UPE, pour ultraweak photon emission) lors de la germination. Ces recherches, corroborées par des expériences ultérieures, ont elles aussi montré que la germination était complètement en phase avec les modèles gravitationnels lunaires et solaires : les oscillations de la marée gravimétrique et de l’UPE suivent des schémas similaires d’environ — mais pas exactement — 12h et 24h, ce qui suggère que cette rythmicité est liée non pas au cycle circadien, mais bien à l’effet de marée.
Ces trois études, ainsi que d’autres, examinées par les deux chercheurs, montrent clairement que les oscillations gravitationnelles ont un réel impact sur le vivant. « Les données montrent qu’en l’absence d’autres influences rythmiques telles que l’éclairage ou la température, les marées gravitationnelles locales sont suffisantes pour organiser le comportement cyclique de ces organismes », explique Gallep à l’agence brésilienne FAPESP.
Ainsi, Gallep et Robert relèvent que cela pourrait remettre en question les conclusions d’expériences réalisées en conditions de free-running qui ne tiennent pas compte de cette influence. « Ce que nous avons cherché à montrer dans l’article, c’est que les marées gravitationnelles sont une force perceptible et puissante qui a toujours façonné les activités rythmiques de ces organismes », conclut Gallep. Et ces cycles gravitationnels nous affectent également : des études ont montré que les humains maintenus dans l’obscurité ont tendance à établir une fluctuation cyclique d’une durée de 24,4 à 24,8 heures, en totale harmonie avec le cycle lunaire.