Chez les vertébrés, l’oxygène est indispensable aux processus métaboliques, ainsi qu’à la croissance des cellules et des tissus. En particulier, les cellules nerveuses du cerveau, qui doivent traiter de grandes quantités de signaux chaque seconde, nécessitent un apport considérable et constant d’O2. Ainsi, des conditions hypoxiques — dues à l’environnement ou provoquées, par exemple, par un accident vasculaire cérébral — peuvent détériorer la fonction cérébrale de manière irréversible. Des chercheurs montrent qu’il est possible d’augmenter les niveaux d’O2 dans les tissus de manière contrôlée, via l’injection de micro-organismes phototrophes directement dans le cerveau.
La majeure partie de l’énergie requise par le cerveau est générée par le métabolisme aérobie, ce qui explique pourquoi il dépend d’un approvisionnement important et constant en oxygène. Les animaux et les humains puisent leur oxygène dans l’environnement, par la respiration. Celle-ci peut être toutefois compromise pour cause pathologique (en cas de maladie respiratoire ou cardiaque), ou dans certaines conditions spécifiques (plongée, vol à haute altitude) réduisant l’apport en oxygène.
Chez l’Homme, le traitement de l’hypoxie repose généralement sur une administration accrue d’O2, qui va favoriser la récupération fonctionnelle et la régénération des tissus. Celle-ci peut être effectuée via plusieurs méthodes : masque à oxygène, sonde d’intubation endotrachéale ou caisson hyperbare. Les organismes photosynthétiques, tels que les plantes, sont quant à eux capables de produire eux-mêmes de l’oxygène, en utilisant la lumière du soleil comme source d’énergie. Une équipe de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich a entrepris d’exploiter cette capacité pour en faire profiter les vertébrés.
Une activité cérébrale relancée par photosynthèse
Les chercheurs ont ainsi introduit des micro-organismes photosynthétiques — des algues vertes unicellulaires et des cyanobactéries — directement dans le cœur de têtards de grenouille de l’espèce Xenopus laevis. Des études antérieures avaient en effet déjà révélé des interactions symbiotiques entre ces micro-organismes et certains animaux, tels que les éponges, les coraux ou les salamandres. Des microalgues ont par ailleurs déjà été utilisées en laboratoire comme sources efficaces d’O2 pour supplanter l’absence de perfusion sanguine de tissus isolés.
L’équipe a utilisé des souches de la cyanobactérie procaryote Synechocystis sp. PCC6803 et de la microalgue eucaryote C. reinhardtii, qui sont respectivement les organismes modèles unicellulaires procaryotes et eucaryotes les plus couramment utilisés dans la recherche sur la photosynthèse. La dispersion vasculaire progressive de ces micro-organismes est devenue visible par la coloration verte des vaisseaux sanguins. L’éclairage utilisé avait une intensité de 5400 lux.
Une fois exposés à la lumière, les ventricules du cerveau des têtards ont produit des quantités substantielles d’oxygène, et ce, jusqu’à ce que la lumière soit éteinte. « Dans un environnement hypoxique sévère généré artificiellement, qui a complètement aboli l’activité neuronale, la production d’O2 induite par la lumière par les micro-organismes a provoqué un redémarrage de la décharge de pointe neuronale et a ainsi sauvé l’activité cérébrale », écrivent les chercheurs.
Bien que les deux espèces de micro-organismes aient augmenté la concentration d’O2 dans des proportions similaires (environ 150 μmol/L), le début de la production et le temps mis pour atteindre un plateau à l’état d’équilibre étaient plus rapides pour Synechocystis 6803 que pour C. reinhardtii, précisent les chercheurs. Cette expérience montre que les micro-organismes photosynthétiques unicellulaires pourraient constituer un nouveau moyen d’augmenter l’apport d’oxygène aux tissus de manière contrôlée, à la fois temporellement et spatialement, dans des conditions écophysiologiques particulières ou à la suite d’altérations pathologiques.
Une approche innovante, mais pas sans risque
Cette approche pourrait, par exemple, être utilisée pour augmenter les niveaux d’oxygène dans les cultures cellulaires, dans les organes explantés ou dans les tranches de cerveau. Mais ce n’est pas tout : les scientifiques soulignent que les organismes photosynthétiques sont non seulement capables de produire de l’oxygène, mais aussi des sucres. « Il est donc concevable que leurs voies métaboliques puissent également être exploitées pour synthétiser des nutriments », explique le neurobiologiste Hans Straka, co-auteur de l’étude.
En outre, étant donné qu’il est possible de contrôler très précisément l’intensité, la durée et le spectre de la lumière utilisée, la méthode pourrait également fournir de nouvelles approches pour l’étude du rôle de l’oxygène dans les processus métaboliques. Mais cette étude ne constitue qu’une preuve de principe et il n’est pas certain que ces résultats puissent réellement être traduits un jour pour traiter les conditions d’hypoxie chez l’Homme.
Comme le souligne Diana Martinez, neuroscientifique à l’Université Rowan, dans le New Jersey, qui n’était pas impliquée dans l’étude, les têtards sont transparents, ce qui signifie que la lumière du soleil peut facilement traverser leur peau et pénétrer dans leur cerveau, permettant aux micro-organismes de réaliser la photosynthèse.
Or, le crâne humain n’est pas transparent. Il faudrait donc trouver un moyen d’initier le processus d’une autre manière. De plus, si le manque d’oxygène peut être un problème, un excès d’oxygène peut également aggraver les lésions cérébrales. « L’incapacité à contrôler correctement les niveaux d’oxygène générés par ces organismes photosynthétiques serait donc tout aussi préjudiciable que l’hypoxie elle-même », ajoute la spécialiste. Enfin, les micro-organismes pourraient se développer de manière incontrôlable, jusqu’à obstruer complètement les vaisseaux sanguins de l’hôte…
Les auteurs de l’étude soulignent également qu’un défi majeur pour une future introduction systémique de micro-organismes phototrophes, soit dans le système vasculaire, soit directement dans le système ventriculaire cérébral, est la survenue d’une réponse immunitaire de l’hôte en tant que réaction générale aux intrus. D’autres études sur les réponses immunitaires potentielles sont donc nécessaires pour estimer les risques de rejet et la possibilité d’une survie à long terme après des insertions chroniques.