La patience est une vertu qui porte toujours sa récompense avec elle, et c’est particulièrement vrai dans le cas d’une très longue étude menée par une équipe de chercheurs japonais. Après 12 ans d’essais, ils ont réussi à cultiver un organisme dans de la boue des profondeurs marines, et ce dernier pourrait expliquer comment de simples microbes ont évolué en eucaryotes plus sophistiqués.
À savoir que les eucaryotes comprennent les humains, d’autres animaux, les plantes et de nombreux organismes unicellulaires. Le microbe en question peut produire des appendices ramifiés, ce qui peut l’avoir aidé à envelopper les autres bactéries qui lui ont permis (et selon les scientifiques, à terme, tous les eucaryotes) de se développer dans un monde rempli d’oxygène.
« Ceci est le rapport d’étude que beaucoup de personnes dans le domaine attendent depuis longtemps », explique Thijs Ettema, un microbiologiste évolutionnaire de la Wageningen University, aux Pays-Bas. À l’heure actuelle, la recherche n’a pas encore été publiée dans une revue (pour être étudiée par des pairs), mais sur Twitter. D’autres scientifiques sont donc actuellement en train d’examiner la prépublication, et certains l’appellent déjà « la découverte de l’année ».
L’arbre de la vie possède trois branches principales : les bactéries et les archées, qui sont tous deux des microbes dépourvus de noyaux et de mitochondries. C’est précisément ces composants qui caractérisent les cellules de la troisième branche, les eucaryotes.
Origin of complex life?: new insight from this Japanese lab, adjacent to work from @Ettema_lab. Very damn interesting. PacMan or octopus, grabbing the first endosymbiont, in the ocean trenches? pic.twitter.com/RJSwnvXvtd We'll stay tuned for the paper.
— David Quammen (@DavidQuammen) August 7, 2019
La pensée qui prévalait, est qu’il y a environ 2 milliards d’années, un microbe appartenant à un groupe nommé les archées d’Asgard, a absorbé une bactérie connue sous le nom de d’Alphaprotéobactérie, qui s’est ensuite installée à l’intérieur du microbe est s’est transformée en mitochondrie, produisant de l’énergie pour son hôte et consommant de l’oxygène comme carburant.
Isoler et cultiver des Alphaprotéobactéries s’est avéré être un véritable défi, car ces dernières ont tendance à vivre dans des environnements inhospitaliers tels que la boue des profondeurs marines. Ces bactéries sont donc très lentes et difficiles à détecter dans un premier temps. De plus, jusqu’à présent, la plupart des preuves de leur existence n’ont été que des fragments d’ADN avec des séquences distinctes.
Mais Hiroyuki Imachi et Ken Takai, microbiologistes de l’Agence japonaise pour les sciences marines, de la Terre et des technologies (JAMSTEC) à Yokosuka (Japon), ainsi que leurs collègues, ont persisté dans leurs efforts pour développer un microbe à partir d’un fond marin. Cela leur a pris 2000 jours, et ils ont dû le faire à 2500 mètres de profondeur, au large des côtes du Japon, dans des bioréacteurs alimentés en continu en méthane, une substance commune dans la boue des grands fonds.
Les chercheurs ont ensuite incubé de petits échantillons de boue microbienne dans des tubes de verre contenant une grande variété de nutriments et d’autres substances. Un an plus tard, ils ont détecté des microbes dans l’un des tubes, contenant également quatre antibiotiques destinés à tuer toute bactérie contaminante.
Ce sont ensuite des analyses ADN des échantillons du tube qui ont indiqué qu’il s’agissait d’archées d’Asgard, soit précisément le microbe qu’ils souhaitaient cultiver. Il a fallu environ 20 jours pour que la quantité de ces microbes double (généralement, cette bactérie peut se doubler en environ une heure), mais finalement, avec un peu de patience, les chercheurs ont réussi à en obtenir assez pour pouvoir les étudier de manière efficace.
« C’est vraiment une tâche gigantesque », a déclaré David Baum, biologiste de l’évolution à l’Université du Wisconsin à Madison (USA), qui n’était pas impliqué dans l’étude.
Les chercheurs japonais ont nommé le microbe Prometheoarchaeum syntrophicum, d’après le dieu grec Prometheus, qui a créé les humains à partir de la boue. Des expériences avec cet organisme unicellulaire suggèrent généralement (si ce n’est pas toujours) qu’il se développe en association avec un autre microbe qui produit du méthane, ont signalé les chercheurs dans leur prépublication.
Les chercheurs ont également constaté que Prometheoarchaeum décomposait des acides aminés pour se nourrir et relâchait de l’hydrogène, nourrissant cette fois son partenaire. Le producteur de méthane aide à son tour le Prometheoarchaeum en mâchant l’hydrogène : trop d’hydrogène pourrait encore ralentir la croissance du microbe. Ce partenariat complexe est donc l’une des nombreuses raisons pour lesquelles il est extrêmement difficile de cultiver des archées d’Asgard en laboratoire.
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Après avoir développé le microbe, les chercheurs ont utilisé un microscope électronique pour l’imager, révélant de multiples appendices ramifiés. L’équipe a émis l’hypothèse que : il y a des siècles, une archée a encerclé un protomitochondrion, qui s’est ensuite mis au travail. Les chercheurs suggèrent donc que, tandis que la concentration d’oxygène a augmenté sur la planète, des archées telles que Prometheoarchaeum sont allés à la rencontre de partenaires utilisant de l’oxygène pour continuer à se développer, et c’est pour cette raison que ces microbes ont mieux survécu que d’autres. « C’est exactement ce que nous avions prédit », a déclaré Baum. En effet, en 2014, lui et un de ses collègues ont publié une théorie similaire.
Ettema met tout de même en garde que l’ancêtre archéen des cellules eucaryotes ayant vécu il y a 2 milliards d’années ne ressemblait peut-être pas totalement à Prometheoarchaeum. De plus, d’autres études d’ADN indiquent que d’autres archées sont encore plus proches des eucaryotes que celle-ci ! Baum espère toutefois que les résultats des efforts de la recherche de l’équipe japonaise permettront aux scientifiques du monde entier d’isoler et de cultiver des archées similaires, mais cette fois, en laboratoire. « Je suis sûr que cela ne prendra pas 12 ans supplémentaires pour que nous y arrivions », a-t-il affirmé.
Dans tous les cas, cette nouvelle étude nous permet de mieux comprendre l’évolution des microbes et des cellules, un élément extrêmement important pour la compréhension de l’évolution de la biologie sur Terre.